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de Ramon, a de l’intelligence et de l’action dramatique. Mais sa voix est sourde, en dedans, et sa diction manque de relief et de vigueur. Au contraire, il y a de la franchise et de la lumière dans la voix de Mlle Demellier (Pilar) et, comme toujours, en celle de M. Salignac, un accent douloureux et qui mord.

Quant à l’orchestre, la partition nous avertit que « toute mollesse devra s’en écarter. Dans la force, les accens y seront observés avec l’énergie de la danse, qui semble contenir tout le tempérament espagnol. En ce sens, l’exagération ne sera point un défaut et contribuera même à la vérité du caractère.

« Éviter de traîner, même aux mouvemens lents, afin de conserver à l’ensemble une sève toujours en marche, car l’Espagne possède, jusque dans le calme et au plus ardent degré, la vie. »

Voilà ce que le compositeur demandait à l’orchestre. Dirigé par M. Ruhlmann, l’orchestre le lui adonné.

Et M. Albert Carré lui donna sans doute encore plus qu’il ne pouvait attendre, en fait de représentation colorée et plastique. Le patio nocturne du second acte est un chef-d’œuvre de réalisme et de rêve, d’imagination et de vérité.


« Chez les Basques heureux, » dit Pilar à Ramon, rêvant d’aller avec lui, très loin, cacher leurs tristes amours. Les Basques ne sont pas toujours si heureux que cela. Passant du livre au théâtre, le Ramuntcho de Pierre Loti vient d’en faire l’expérience. Mais, de tout ce qu’a perdu le délicieux chef-d’œuvre à ce difficile passage : poésie et couleur, sentimens et sensations, la musique du moins a sauvé quelque chose. Il s’en faut réjouir.

Vous n’êtes pas sans ignorer que le mélodrame moderne (le drame où la musique intervient) a son origine dans ce que les Grecs appelaient la paracatalogé, c’est-à-dire la récitation parlée sur un accompagnement instrumental et mêlée à des morceaux de chant. Aristote s’est demandé pourquoi ce genre a quelque chose de tragique. « Est-ce à cause de l’anomalie ? En effet, le pathétique est irrégulier de sa nature, tant dans l’excès du bonheur que dans le malheur extrême. » Et M. Gevaert, commentant Aristote, ajoute fort bien : « La transition périodique du chant à la parole et de la parole au chant a le pouvoir de remuer la fibre tragique à cause de l’inégalité des perceptions sensorielles, inégalité résultant du mélange des divers moyens d’expression : d’une part succession alternative des intonations indéterminées de la voix parlée et des intonations réglées de la voix chantée ; d’autre