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lui attribuer en propre celles qu’il possède aujourd’hui indivis dans la commune. Ces deux opérations coûteront cher, la seconde plus encore que la première. Mais toutes deux, si elles sont bien conduites, rémunéreront sûrement le capital qu’elles vont exiger. Il existe déjà des paysans personnellement propriétaires : 490 000 en 1903. En seize ans, de 1862 à 1877, ils avaient acheté 6 300 000 hectares ; ils en avaient acquis 8 200 000 en vingt-huit ans, de 1878 à 1905, soit en tout 14 millions et demi. Il ne semble donc pas que, malgré l’institution en 1882 de la « Banque foncière des paysans, » ceux-ci aient profité beaucoup plus qu’auparavant du crédit mis à leur portée.

Depuis que cette banque a abaissé à 2 p. 100 le taux du versement initial, exigé des acheteurs, et que l’Etat prend à sa charge, à titre de subvention, l’acquittement d’une partie de l’annuité qu’ils ont à payer pour l’amortissement du prix d’achat, les acquisitions paysannes ont augmenté : du 5 novembre 1905 au 1er décembre 1907, en moins de deux ans, elles se sont élevées à près de 1500 000 hectares, répartis entre 254 000 feux. La demande pourtant reste inférieure à l’offre. Le désir que les moujiks paraissent avoir d’acheter n’est rien en comparaison de l’empressement que les nobles mettent à vendre : en ce moment la Banque foncière peut disposer de 6 millions d’hectares que la noblesse propose de céder, mais qui ne trouvent pas facilement preneurs. Le gouvernement russe estime que cette profusion d’offres continuera et empêchera la hausse de la terre, je me permettrai de n’être pas de son avis.

Les désordres agraires, les dévastations qui les ont accompagnés, la crainte de les voir se reproduire, sont la cause principale de cette abondance des terres à vendre. Il n’est pas à souhaiter qu’elle subsiste. Des nobles, qui cultivaient bien avec des machines, ont vu leurs bâtimens réduits en cendres ; ne se souciant pas de les relever, ils quittent le pays. Des paysans les remplacent, qui n’ont pas de fonds pour exploiter le sol, et le rendement baisse. Que cette substitution du paysan à l’ancien propriétaire se généralise, elle aurait des conséquences fâcheuses : il en résulterait un recul agricole, du moins pendant un assez long temps. Parmi les nobles qui avaient introduit des méthodes scientifiques, beaucoup avaient perdu plutôt que gagné ; mais le voisinage avait profité de leurs tentatives comme le pays profite d’une usine nouvelle, même si elle ne donne pas de dividendes à ses actionnaires.