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les spécialistes doués du sens industriel et capables de discuter un prix de revient.

Mais ce sont des mages, des enfanteurs de plans féeriques, et les Français qui n’ont pas eu le sang assez froid ont été gagnés par la contagion, pris à leur tour de la folie des grandeurs. Ils sont partis pour les rêves, circonvenus, entraînés par ces charmeurs qui ne savent pas calculer. On aurait peine à croire, si ce n’était un fait bien connu, qu’une usine modèle ait été constituée de toutes pièces dans la région du Volga, par les maîtres de l’industrie du fer en France unis aux premiers banquiers de notre capitale, et qu’après un débours de plusieurs dizaines de millions que ces puissans personnages avaient galamment sorti de leur bourse sans aucun appel au crédit, il fut reconnu que les conditions économiques et topographiques étaient telles que cet organisme parfait ne pouvait pas fonctionner. Aussi l’usine n’a-t-elle jamais été ouverte ; et le matériel tout neuf, rouillé dans l’inaction, aura peine à se vendre au poids quelque jour.

Par suite de semblables erreurs, une grande affaire métallurgique de l’Oural, après avoir dépensé plusieurs fois l’argent nécessaire à sa mise sur pied et après avoir passé ces fonds par profits et pertes, ne parvient pas encore à vivre, suivant le dit populaire, « en joignant les deux bouts. » La guerre russo-japonaise n’est pas l’auteur de ce marasme qui existe depuis 1902 ; mais comme la clientèle de l’État, qui représentait 30 pour 100 du chiffre global des commandes, a diminué d’importance parce que le développement des chemins de fer est poursuivi avec moins d’activité, les besoins nouveaux sont rares. L’atonie sera plus grande en 1908 qu’en 1907 même, où des ordres antérieurs restaient à exécuter.

En somme, on peut considérer que, pour la métallurgie, les trois quarts et, pour la houille, une moitié des capitaux engagés sont à jamais compromis pour ne pas dire tout à fait perdus. Bien des forges se sont détériorées depuis huit ans sans avoir servi ; ce seront des outils à refaire. Les charbonnages au contraire peuvent se relever ; la crise actuelle du naphte, prodigieusement renchéri, — de 13 à 40 kopeks le poud, — depuis les incendies de Bakou, profite aux houillères qui ont extrait, l’an dernier, 16 millions de tonnes. C’est peu, pour ce grand empire ; c’est beaucoup si l’on songe qu’en 1891 il n’y avait que 5 charbonnages et qu’il en existe maintenant 46.