Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et à divulguer les « vérités » qu’il croit avoir découvertes. Très respectueux, certes, de la religion, de toutes les religions, car il sait « tout ce qu’elles ont inspiré d’efforts, de sacrifices et de dévouemens, » très hostile aussi à toutes les mesures, ouvertes ou sournoises, de persécution irréligieuse, — son article de 1886 sur la France juive, de M. Drumont, est très net à cet égard, — il est convaincu que les diverses religions positives sont des formes périmées et dépassées de la pensée ou de l’activité humaines ; mais il estime d’autre part que la science et la philosophie en ont laïcisé les parties durables et nécessaires, à savoir la morale. En un mot, il croit fermement à la possibilité de fonder une morale, une vraie morale, dont les prescriptions, assez peu différentes, semble-t-il, de celles de la morale chrétienne, s’imposeront, non seulement à l’homme individuel, mais à l’homme social, et de la fonder sur tout autre chose que sur l’idée religieuse.


J’ai cru, — écrivait-il plus tard à l’un de ses critiques, — j’ai cru, comment dirai-je ?… à l’idée du Congrès des religions ! Oui, j’ai cru un moment, et dix ans avant Chicago, que de la totalisation, si je puis ainsi dire, et de la compensation des religions les unes par les autres, on pourrait dégager une religion, ou une morale quasi laïques et indépendantes, non pas précisément de toute philosophie de la vie, mais de toute confession particulière. Et j’avais trente-cinq ans quand cela m’arriva. Et je l’ai cru six ou sept ans… (10 septembre 1898).


Mais son siège n’était pas si bien fait qu’il ne regardât pas visiblement encore, et avec une curiosité passionnée, du côté de la religion. Il reprochait par exemple à M. Lavisse, dans sa Vue générale de l’histoire politique de l’Europe, « de n’avoir pas fait la place assez large à l’histoire religieuse ; » il louait avec une vivacité singulière le livre de Léon Grégoire sur le Pape, les Catholiques et la Question sociale. C’était d’ailleurs le temps où « un grand et bienfaisant pape » prononçait, en matière politique et sociale, des paroles libératrices ; où l’Encyclique Rerum novarum faisait naître dans toute la jeunesse d’ardens enthousiasmes et de fécondes espérances ; où un homme, dont on a pu dire qu’ « il a été toute sa vie obsédé par le problème religieux, » Eugène Spuller, osait parler d’ « esprit nouveau ; » où les passions politiques se calmaient ; où une « République athénienne » semblait devoir se lever en France… Comment Ferdinand Brunetière aurait-il été insensible à ce mouvement qui