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LES RIDES

Légers sillons, marqués sur mes traits las de vivre,
Vous avez un poignant et douloureux passé.
Chaque jour révolu s’est en vous retracé,
Et je puis à présent vous lire comme un livre.

Ce miroir, qui jadis a connu ma beauté,
Me révèle aujourd’hui toutes vos flétrissures,
Car, tandis que mon cœur saignait de ses blessures,
Vous paraissiez, fatals, contre ma volonté.

Vous avez sur mon front mis votre dure touche
Le jour où j’ai pensé pour la première fois,
Et le doute a creusé ces rides que je vois
Barrer amèrement les deux coins de ma bouche.

Vous avez, encadrant mes regards éplorés,
Ô sillons, dessiné des lignes implacables,
Depuis les sombres jours, — hélas ! irrévocables, —
Où la mort m’a repris des êtres adorés.

Vous avez tout surpris de mes tendresses vaines,
Espoirs trop tôt déçus ou rêves avortés.
Mes soucis et mes maux, vous les avez comptés,
Et je retrouve en vous bonheurs, regrets et peines…

Tristes sillons, creusés jour par jour, lentement,
Le monde apprend par vous que tout s’altère et passe,
Et l’on dit que c’est Dieu lui-même qui vous trace
Comme une empreinte auguste ou comme un châtiment !