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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/898

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Alors l’homme qui avait vécu de cette vie, pouvait être véritablement un témoin pour les âges futurs. Il avait tout vu, tout étudié : les palais et les bouges, les comptoirs et les écoles, les gymnases et les théâtres, — les Temples et les Dieux.

C’est fini maintenant ! cette lenteur prudente du voyage n’est plus possible ! La vie moderne est trop fiévreuse et elle a des exigences qui excluent la sage paresse d’autrefois… Pourtant, je voudrais m’attarder en Grèce, et tenter de la voir, en rapetissant mon sujet à la mesure de mes loisirs, hélas ! encore trop parcimonieux ! Renonçons à décrire les âmes et les hommes : cela viendra peut-être plus tard. Tenons-nous-en au simple aspect de la terre, à la figure de ses ruines. La matière est encore assez belle, et, si présomptueux que cela paraisse, j’ose dire qu’elle est à peine déflorée.

En effet, — sauf la glorieuse exception de Chateaubriand, — on n’est venu ici que pour faire des fouilles, prononcer des prières sur l’Acropole, formuler des théories esthétiques et sociales ou les réfuter. On débarquait, l’esprit tellement offusqué d’idées préconçues, tellement écrasé de science et de littérature, qu’on en était aveugle devant la réalité des choses. La poursuite d’un passé insaisissable faisait négliger le présent. On s’évertuait à reconstruire, avec de maigres débris, l’image de la beauté grecque, et l’on se battait les flancs pour s’extasier sur ce qui n’exista jamais. Ou bien, on a conçu de la mauvaise humeur devant le peu qui reste de cette beauté et la singularité d’un art qui ne ressemble point au nôtre, — et l’on a crié très haut sa déception. La pâle lumière des livres a éteint, pour presque tous les yeux, l’éclatant soleil qui prête aux ruines elles-mêmes une vie toujours jeune et qui fait palpiter les grands paysages comme aux jours antiques. De grâce, laissons dormir Sophocle et Euripide : oublions Schliemann et Ottfried Müller, n’invoquons point les héros des Thermopyles et croyons que l’atelier de Phidias est à jamais clos pour nous. Ce que nous en savons de positif n’est que de l’érudition morte, impuissante à ranimer l’histoire. Mais il doit y avoir des matins radieux sur les montagnes de Phigalie, des midis tout blancs sur la plaine de Thèbes, des soirs lourds de volupté sur Nauplie et Corinthe. C’est cela que je voudrais regarder.

Allons-y bonnement, simplement, avec des yeux candides qui ne cherchent que la vérité des couleurs et des formes, sans