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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/899

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refréner pour cela nos enthousiasmes de Barbares. La poésie fait partie de la réalité grecque contemporaine. L’en dépouiller, c’est la mutiler. Il faut considérer dans un pays ou dans un homme tout ce que la reconnaissance ou l’admiration leur ont ajouté. Cette sympathie amoureuse qu’on leur témoigna et qu’ils ont su provoquer leur a permis de s’exprimer complètement. On ne peut pas juger avec justice un Napoléon en écartant sa légende. De même, avant d’aborder en Grèce, une certaine ferveur lyrique est nécessaire.

Que cette ferveur me sera facile, et comme je me sens prêt à l’aimer, cette Grèce ardente, moi qui, dans ma Lorraine natale, ai consumé toute une enfance maussade à rêver du soleil derrière un poêle ! Ma vraie patrie, c’est le double rivage de la Mer Latine. Ma fantaisie s’y échappait déjà, lorsque, à huit ans, je feuilletais les estampes du Tour du Monde, qui me révélaient l’Espagne et ses cathédrales, l’Afrique, le désert, les profondeurs vermeilles… D’instinct, mon cœur se précipite vers les terres heureuses qui, durant tant de siècles, fascinèrent l’âme inquiète des Francs, depuis les Croisades jusqu’à l’Expédition d’Égypte. Leurs villes m’accueillent, j’y entre sans embarras ni surprise, je comprends leur langage, j’y suis chez moi ; Alger, Séville, Valence ont des carrefours et des terrasses, où le bruit de mes pas éveille des échos familiers et où je reviens, de saison en saison, m’asseoir à ma place, dans l’enchantement des musiques et des clairs de lune… Eternelle magie de la Méditerranée ! Echelles du Levant et du Ponent ! Vos ports, dans les levers de l’aube, et les couchers de soleil, m’offrirent les mêmes fêtes de lumière qu’à Claude le Lorrain, mon arrière-parent ! Marseille avec ses rochers arides, Stamboul avec sa Corne d’Or furent les lieux où j’ai le plus ardemment souhaité que la splendeur changeante des formes se fixât et que la figure du monde fût éternelle !

Ceux qui prirent de la Grèce une idée d’après les livres, ou qui ne la voient qu’à travers des pages d’esthétique, ceux-là ne se persuadent point qu’elle puisse ressembler à ces prestigieuses voisines. Il importe qu’elle soit un miracle, un phénomène qui ne se rattache à rien. Ils s’inventent une Grèce de marbre blanc. Mais, d’abord, ce marbre-là, ce n’est pas celui de nos musées qui reste inerte et froid, dans une pénombre perpétuelle. C’est un marbre qui vibre et qui se colore, comme une chair, au choc animateur du soleil. Et puis, cela même n’est pas toute la