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leur intégrité. La moindre erreur de calcul peut défigurer jusqu’au grotesque le style et le caractère d’un édifice. Le pire, en cette matière, c’est que l’imagination, amorcée par une pâture toujours insuffisante, travaille à faux et se perd en divagations.

Rien de plus perfide, au fond, que la ruine restaurée, la ruine artificielle, produit de l’archéologie. Déjà, à Thimgad, je m’étais inquiété, sans oser le dire, devant ces belles rues trop bien alignées, ces maisons trop bien rebâties pour être vraies. L’érudition réussit peut-être à remettre en place, elle est impuissante à recréer. Trop d’élémens lui manquent : l’âme d’abord, ce qui fut la vie d’un art ou d’une époque. Mais il ne faut pas lui demander l’impossible. Quand il ne lui manquerait que cette collaboration obscure que le milieu, les circonstances, le hasard même ont prêtée à l’artiste, c’en serait assez pour exciter notre défiance.

Ne nous laissons donc point aller à une illusion trop séduisante. Renonçons une fois de plus à deviner le profil architectural qui occupait ce coin de ciel, voilà vingt-trois siècles. Il faut nous résigner à ne pas savoir. La science, en cernant le problème plus strictement, nous aura du moins rendu le service de nous montrer qu’il est vain d’en espérer la solution.

Nous avons d’ailleurs de quoi nous consoler ! Ces ruines énigmatiques conservent une beauté qui triomphe de tout. Ni le temps, ni les dévastations des guerres, ni le zèle maladroit des savans n’y font rien. Il n’y aurait plus là-haut que les murailles croulantes de l’Acropole, que ce serait beau encore, beau peut-être par la grandeur des souvenirs, mais plus beau incomparablement par les pompes de lumière que le soleil y célèbre tous les matins et tous les soirs.


Le soleil est couché maintenant. La féerie lumineuse s’est éteinte. Un peu de rose s’attarde encore sur les frises de la Victoire Aptère, et j’en emplis mes yeux, avant de redescendre vers la ville…

Longtemps j’ai rôdé autour de l’Acropole, sans y entrer. Je pensais que l’attente augmenterait mon plaisir, et, — s’il faut tout avouer, — j’avais peur que ces vieilles pierres, qui m’en