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tellement ébloui du sublime qu’on ne distingue plus, que tout vous apparaît dans le rayonnement lyrique d’un même présent !… Voici les golfes, les sommets et les îles que les poètes ont chantés : Salamine, Eleusis, l’Acro-Corinthe, le Parnasse, le Cithéron ! Tout se découvre à la fois, le passé tout entier ressuscite de lui-même, sans qu’on l’appelle. Et l’on ne sait plus ce que l’on admire davantage, de la beauté du soir épandue sur ces nobles montagnes et tous ces espaces, ou du voile de poésie que les grands Hellènes ont tissé sur la face de cette terre !

Oh ! non, ne regrettons pas de n’avoir pu toucher de nos mains le voile sacré de la Déesse, ce péplos brodé de figures que des jeunes filles lui apportaient, le jour de sa fête. Rien ne vaut les vivantes images qui flottent encore aujourd’hui sur le seuil de son temple !

Je suis monté à l’Acropole, un soir de lune, avec le romantique préjugé que ce serait plus beau.

Ici, comme au Caire, pour les pyramides de Gizeh, il y a tout un service de « Clairs de lune » régulièrement organisé. On demande à l’Ephore général des antiquités un billet d’entrée pour la nuit. Mais, quand on l’obtient, on trouve que la faveur est singulièrement parcimonieuse. On a tout au plus une heure, ou une heure et demie, à se promener à travers les ruines, sous la conduite d’un gardien grognon qui préférerait dormir à cette heure-là et que les plus généreux pourboires n’adoucissent point. Le rêve, ce serait de pouvoir y rester jusqu’à l’aube, et, du haut de ce balcon incomparable, d’assister au lever du soleil.

Pour comble de disgrâce, on n’est jamais seul. Le soir où j’y montai, j’avais pour compagnons des provinciaux de passage, qui avaient obtenu l’autorisation par l’entremise de leur député. (Cela valait encore mieux, pourtant, qu’une bande de Cook ! ) Un pappas égyptien, extrêmement bavard, pérorait au milieu du groupe. A tout instant, il faisait de grands éclats de voix. Les autres, plus respectueux, chuchotaient dans la pénombre. Quand je croyais les avoir dépistés, je les entendais encore. Et je sentais constamment derrière moi la surveillance inquiète du gardien : on ne saurait prendre trop de précautions avec un voyageur inconnu qui vient visiter, de nuit, les antiquités.