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On se hâte de recueillir dans ses yeux les colorations inouïes dont flamboient, en cette minute fugitive, les colonnes et les murs du temple.

La patine même en est merveilleuse, comme celle de toutes les ruines méridionales. Les marbres ont l’air d’être peints ou dorés de main d’homme, — et les poussières accumulées, le travail des pluies, de la lumière et du vent y ajoutent des tons invraisemblables. En ce moment, l’éclairage est d’une fantaisie extraordinaire. On dirait un de ces palais chimériques que l’imagination somptueuse d’un Gustave Moreau incrustait du haut en bas et pavait de mosaïques de pierreries. Des pans entiers semblent recouverts par des plaques d’émaux violets, des lames de bronze ou de vermeil. À l’intérieur de la cella, les peintures byzantines à demi effacées s’allument sur le plâtre des fresques, comme de brusques jets de flammes…

Les reflets pâlissent. L’arrière-plan de l’horizon est envahi par les brumes. Il est temps de se retourner vers le ciel rouge du couchant, où se découpent en noir les contours dentelés des lointains sommets. On s’avance jusqu’à la colonnade de l’Opisthodome, par l’ouverture qui devint la porte d’entrée du Parthénon transformé en église de la Mère-de-Dieu.

Soudain, entre les chambranles de ce portail qui s’écartent superbement comme les parois rocheuses d’un défilé, on voit surgir la mer et les promontoires, sur les profondeurs empourprées du crépuscule. L’ivresse de l’espace vous gagne avec une espèce de vertige intellectuel, dès qu’on a conscience de dominer tant d’histoire, du haut de ce belvédère indestructible. Ni l’Acropole de Carthage, ni la mosquée d’Omar, ni la pyramide de Chéops ne m’ont bouleversé d’une émotion pareille. Il n’y a que le Saint-Sépulcre de Jérusalem et les hauteurs du Golgotha qui l’emportent pour moi sur le sanctuaire et la colline de Pallas. On n’y découvre point « les royaumes, » — ni la mer, ni les promontoires, — mais la vision spirituelle qui s’ébauche au bord de cette Tombe, si elle pouvait se prolonger, absorberait tous les infinis !…

Pourquoi donc, entre ces colonnes païennes, rêvé-je d’une Fête-Dieu catholique, — d’une Bénédiction du Saint-Sacrement qui descendrait de ce reposoir de marbre, — un des plus sublimes du monde, — sur l’immensité glorieuse du paysage ?… Les deux antiquités ne sont-elles pas réconciliées dans cette ruine qui porte, sur ses murs, des images de saintes ? Ici, on est