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mêlés ; il fallait broder leurs aventures imaginaires sur la trame du récit historique. De là ces contes pieux que M. France intercale dans la biographie de Jeanne avec une monotonie voulue et une gaucherie étudiée de primitif. « Jeanne avait vu maintes fois à l’église madame sainte Marguerite peinte au naturel, un goupillon à la main, le pied sur la tête du dragon. Elle en savait l’histoire, telle qu’on la contait alors et à peu près de la manière que voici… » Suit l’histoire de sainte Marguerite suppliciée par Olibrius. « Madame sainte Catherine n’était pas non plus une étrangère pour Jeanne… » Suit l’histoire de sainte Catherine, décapitée sur l’ordre de Maxence. « Le village natal de Jeanne portait le nom du bienheureux Rémi. Voici de quelle manière les clercs rapportaient la légende de saint Rémi… » Suit l’histoire du baptême de Clovis et comment, au chant du Veni Creator, le Saint-Esprit était descendu tenant en son bec la Sainte-Ampoule. Ailleurs, c’est l’histoire du bienheureux Aignan, telle que les Orléanais la savaient ; etc., etc. Et chaque fois la légende est contée, d’une façon délicieuse, cela va sans dire, avec des détails qui sont bien ceux de l’époque, mais dans un esprit qui en est aussi peu que possible. Il y court en effet une ironie légère, saisissable pourtant, et qui en modifie totalement le sens. Il apparaît que les saints sont des êtres tout à fait biscornus et risibles, reflétant en eux la sottise, la couardise, l’égoïsme et la grossièreté de ceux qui les adorent. Voulez-vous gagner leur faveur, faites-leur des présens de toute nature, mais particulièrement de cire vierge. Les saints du Paradis se mettent volontiers du côté de ceux qui les invoquent le plus dévotement : ainsi saint Michel est resté bon Français, mais saint Georges s’est tourné Anglais. Après cela, comptez sur leur assistance, mais en ayant soin de tout faire exactement comme s’ils ne vous assistaient pas. « Ainsi fit en 1424 Jean Ducoudray, natif de Saumur, qui, prisonnier au château de Bellême, se recommanda dévotement à madame sainte Catherine, puis sauta dehors, étrangla l’homme du guet, escalada le mur d’enceinte, se laissa tomber d’une hauteur de deux lances et s’en alla librement par les champs. Peut-être ces miracles eussent-ils été moins fréquens si les Anglais avaient entretenu plus de monde en France… » Çà et là le récit s’émaille d’anecdotes saugrenues, comme celle de la jeune fille de Reims qui éprouva qu’on peut pécher gravement contre l’Église en refusant de forniquer avec un clerc dans une vigne.

Ce qui est le plus inquiétant, c’est que l’auteur ne quitte pas toujours ce ton de raillerie quand il s’agit de l’histoire elle-même de