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Jeanne. « Monseigneur saint Michel Archange n’avait pas fait une fausse promesse : mesdames sainte Catherine et sainte Marguerite vinrent comme il avait dit… En les voyant paraître, la villageoise se signait dévotement et leur faisait une profonde révérence. Et comme elles étaient des dames bien nées, elles lui rendaient son salut… Sans avoir toujours des choses très nouvelles à lui dire, etc. » A la prise de Jargeau, Jeanne apercevant sur la muraille un engin qui pourrait bien être mortel au duc d’Alençon, l’avertit à temps. « Le duc ne s’était pas écarté de trois toises, qu’un gentilhomme d’Anjou, le sire du Lude, ayant pris la place quittée, fut tué par une pierre du veuglaire. Le duc d’Alençon admira cette prophétie. Sans doute la Pucelle était venue pour le sauver et elle n’était pas venue pour sauver le sire du Lude… » Ce sont des plaisanteries, mais qui, dans un tel sujet, tirent à conséquence. L’esprit de M. France si compréhensif, si accueillant a toutes les idées, si ouvert, se ferme aussitôt que les croyances religieuses sont enjeu. Cela a de l’importance quand on écrit l’histoire d’une sainte qui vécut dans une époque mystique.

J’y insiste parce que c’est ici le point essentiel. C’est la clé de la nouvelle biographie de Jeanne d’Arc. Nous n’avons vu encore que la bordure et le cadre : nous attendons le peintre au portrait qu’il va nous tracer de son modèle. De quelle manière M. France envisage-t-il donc l’action de Jeanne et quel rôle lui a-t-il attribué ? Dépouiller l’histoire de Jeanne d’Arc de son caractère religieux, serait une absurdité : M. France en fait justement la remarque. Il dénonce la sottise d’organiser le culte de la Pucelle en cérémonie laïque : il est impitoyable pour ceux qui travestissent l’inspirée de Domrémy en une canonnière patriote ou encore en une libre penseuse spiritualiste. « L’histoire de Jeanne, je ne puis assez le dire, est une histoire religieuse, une histoire de sainte, tout comme celle de Colette de Corbie ou de Catherine de Sienne. » Et c’est bien la psychologie d’une sainte qu’il s’applique à tracer au cours du récit et à mesure que les événemens en font saillir un trait nouveau. Oui Jeanne a vécu en communication directe avec les êtres du paradis, et, suivant l’expression assez bizarre dont se sert M. France, elle a senti « à toute heure du jour et de la nuit, le ciel lui dégringoler sur la tête ; » elle a vu lui apparaître les personnages divins, elle a entendu distinctement leurs voix, elle a agi d’après leurs commandemens, elle a dû à ses extases des joies ineffables, et elle a été jusqu’au bout soutenue par l’illusion bienfaisante. Tout cela est l’évidence même : il faut être imbécile pour le nier. Reste à savoir ce qu’on entend par