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la sainteté et quelle sorte de pouvoir on reconnaît à une sainte.

Est-il besoin de dire que M. France ne parle de Jeanne d’Arc qu’avec déférence ? Sachons-lui gré d’avoir fait si peu d’état des « explications » dues à la physiologie et à la psychiatrie. S’il a eu le tort de publier une consultation médicale sur le cas de Jeanne d’Arc, du moins l’a-t-il rejetée en appendice. Comme tout biographe de Jeanne d’Arc, il a pris parti pour elle. Il est pour elle qui représente le peuple, comme il est contre les seigneurs, les politiques et les bommes d’armes. Il est pour elle surtout contre les gens d’Église, docteurs d’Université, clercs, inquisiteurs et autres pédans féroces. Tandis qu’il l’accompagne dans sa passion, « dans cet horrible procès où elle est torturée à la fois par des princes d’Église et des goujats d’armée, » il n’essaie plus d’affecter l’impassibilité : il s’emporte, il invective roi, conseillers, moines, et les parens mêmes de Jeanne, tous ceux qui, ayant profité d’elle, l’abandonnent si lâchement. Et lorsque arrive l’instant de l’agonie, sachant bien quelle est sur le lecteur la puissance de l’émotion contenue, ces pages, où il se garde de tout ce qui pourrait sembler mis pour l’effet, sont d’une rare intensité. C’était une sainte, et si ingénue, si charmante en sa naïveté juvénile, en son assurance rustique ! Comment ne pas s’incliner devant la « petite sainte ? » Mais aussi représentons-nous bien quel genre de secours un pays peut attendre d’une petite sainte, et n’allons pas croire ni qu’une petite sainte puisse concevoir l’idée du salut de l’État, ni qu’elle puisse, par aucune espèce de moyen, y travailler.

Jeanne ne pouvait rien, nous dit son biographe, et elle n’a rien fait. D’abord elle n’a pas chassé les Anglais. Il y en avait si peu d’Anglais en France ! Leur domination avait poussé si peu de racines ! Ils étaient à la veille de s’en aller. Jeanne a plutôt retardé leur départ en menant sacrer Charles VII à Reims, quand il eût été si facile, Orléans pris, de reprendre Paris, et quand il n’y avait qu’à le vouloir pour chasser les Anglais de Normandie ! Cette campagne du sacre, c’est l’œuvre propre de la Pucelle, et elle a été funeste… Le défaut de l’argumentation de M. Anatole France saute aux yeux. Parce que le pouvoir des Anglais résidait surtout dans la terreur qu’ils nous inspiraient, il en conclut que ce pouvoir n’était pas réel. Certes, les Anglais étaient en petit nombre ; mais avec ce petit nombre de combattans ils tenaient nos places fortes et mettaient en déroute nos soldats et nous imposaient des traités désastreux. Le découragement était complet dans nos rangs : on n’osait plus rien tenter. C’est une vérité reconnue que les peuples ne secouent jamais d’eux-mêmes