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Mais d’abord, il faut que je rappelle une seconde lettre, antérieure à celle-là de plusieurs années, et que j’ai eu précédemment l’occasion de traduire ici, — car le recueil des Lettres de Famille de Wagner, publié en 1906, contenait déjà quelques-unes des premières lettres du poète à sa Minna, écrites durant cette période d’« épreuves » où le jeune couple ne pensait qu’à souffrir, à espérer, et à lutter en commun. Le 28 juillet 1842, Wagner, qui était venu à Dresde avec le projet d’y faire jouer son Rienzi, recevait une lettre de sa femme lui disant que, si son séjour et ses démarches devaient lui coûter trop d’argent, elle était prête, pour lui épargner une dépense supplémentaire, à attendre quelque temps avant de venir le rejoindre. A quoi le mari répondait, dans un admirable élan de reconnaissance et d’amour :


Ma Minna bien-aimée, il n’est pas possible que nous restions jamais séparés l’un de l’autre : je le sens de nouveau, à présent, du plus profond de mon cœur. Ce que tu es pour moi, rien au monde ne pourrait m’en tenir lieu… Tu me parles d’une nécessité qui, peut-être, nous obligerait à ne pas nous revoir quelque temps encore ! Où donc est cette nécessité ? Lorsque jadis, pour essayer d’exécuter mes plans et mes espoirs follement présomptueux, j’ai entrepris le voyage de Russie, dans des conditions qui auraient découragé l’homme le plus intrépide, est-ce que, dans ce moment-là, tu m’as parlé d’une nécessité de te séparer de moi ? Si tu l’avais fait alors, par Dieu, j’aurais dû te donner raison ; mais l’idée ne t’en est pas venue. Lorsque, pendant la traversée, la tempête et le péril étaient au comble, lorsque, pour récompense des peines que tu avais subies avec moi, tu voyais devant toi une mort effroyable, tu m’as simplement prié de te tenir bien embrassée, afin que, jusque dans la mort, nous ne fussions pas séparés. Lorsque, à Paris, nous nous trouvions immédiatement sur le point de mourir de faim, mainte occasion s’est présentée à toi de te sauver en me laissant à mon sort : pourquoi donc, à ce moment, n’as-tu jamais parlé d’une nécessité de nous séparer ? Alors, vois-tu, je n’aurais rien eu à te répondre ! Mais maintenant, où je sens que je tiens de plus en plus mon avenir dans mes mains, maintenant, je te le demande, pourquoi me parles-tu de cette nécessité ?… Viens, viens, viens ! Et tout de suite ! Lundi, lundi ! Ah ! si nous pouvions être déjà à lundi !


Et la lettre se terminait par une citation, un peu modifiée, du début de l’exquise chanson de ce Hollandais Volant que Wagner venait de composer sous les yeux de sa femme, et vraiment grâce à elle :


Mon cher vent du Sud, souffle encore plus fort !
Tout mon cœur désire et appelle ma Minna !

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  1. Voyez la Revue du 1er janvier 1907.