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majorité au gouvernement. Ce n’est pas à la veille des vacances, ni surtout à la veille des élections, qu’on renverse un cabinet. À ce moment, les partis sont pris, les jeux sont faits, rien ne va plus.

Que reprochait d’ailleurs M. Jaurès au ministère ? De n’avoir encore exécuté aucune des grandes et belles promesses qui ont été faites à la démocratie : par exemple de n’avoir pas racheté le chemin de fer de l’Ouest, de n’avoir pas fait voter les retraites ouvrières, d’avoir laissé en plan l’impôt sur le revenu. Au fond de l’âme, la plupart des députés radicaux et radicaux-socialistes, qui sont toujours prêts à adresser des injonctions au gouvernement pour qu’il réalise ces réformes, seraient bien fâchés d’être pris au mot. Le rachat de l’Ouest est une question de politiciens qui laisse le pays indifférent, excepté dans les régions intéressées où tout le monde y est contraire. Les retraites ouvrières sont devenues un casse-tête où le gouvernement ne se retrouve plus. L’impôt sur le revenu est un sujet d’inquiétude pour tous ceux qui ont un revenu, même modeste. Mais M. Jaurès, impitoyable, ne pardonne pas au ministère de n’avoir encore fait aboutir aucun de ces projets. Un seul ministre, M. Caillaux, trouve grâce devant lui : tous les autres lui paraissent suspects de modérantisme, comme on disait au bon temps. Comment ne le lui paraîtraient-ils pas ? M. Jaurès a entendu un mot qui a déchiré son oreille : il en fait grief au gouvernement, bien que le gouvernement n’en soit pas responsable. M. Brindeau en est l’auteur. M. Brindeau a été nommé récemment président du groupe progressiste, et il a prononcé à cette occasion un excellent discours où il a dit quelque chose comme ceci : — Après les élections dernières, nous sommes entrés à la Chambre en vaincus, et aujourd’hui nos idées y triomphent. — Nous voudrions bien que cela fût vrai. Le mot est excessif ; cependant il contient quelque vérité. La situation des progressistes n’est plus tout à fait ce qu’elle était naguère, et si leurs idées ne triomphent pas encore, elles sont appréciées et sérieusement cotées. Ils sont eux-mêmes un des élémens de la majorité ; on compte avec eux ; on les ménage. C’est contre ce phénomène, incontestablement nouveau, que M. Combes a protesté avec une indignation douloureuse dans un banquet offert à M. Brisson : il y a eu le contraire d’un succès. Sa mésaventure aurait dû servir de leçon à M. Jaurès ; mais M. Jaurès s’est dit sans doute que M. Combes ne disposait pas des mêmes moyens oratoires que lui, et qu’avec son éloquence il ferait un tout autre effet. Il avait compté sans celle de M. Clemenceau, qu’il a le don de stimuler merveilleusement : que ne s’en est-il souvenu ?