ou l’Être suprême avait adressé au besogneux ménage un pensionnaire qui paraissait cossu. C’était un fort bel officier, portant le casque à peau de tigre, et l’habit vert aux retroussis écarlates du 12e régiment de dragons. Haut de taille, mais bien musclé, avec des yeux, des sourcils, des cheveux noirs, un long nez aquilin, un visage basané sans nageoires, ni moustaches ; de plus, faisant ronfler les mots et chanter leurs voyelles, le nouvel arrivant sentait son pays du soleil, les bords de la Garonne, de l’Hérault, ou du Gard. Son nom même vibrait, semblable à quelque nom sonore d’amoureux troubadour : ce grand garçon s’appelait Donnadieu.
Gabriel Donnadieu, le futur et trop fameux vicomte, héros de la Terreur Blanche, était né, très humble croquant, dans une arrière-boutique de tonnelier nîmois. Son père, de souche cévenole, et sa mère, Madeleine Planchon-Pépin, appartenaient à la Religion, sectateurs de ce calvinisme si vivace et si tenace, si vertueux et si dédaigneux, que les missionnaires bottés du Roi Très Chrétien n’avaient pu extirper du Languedoc…
De bien petites gens, cette lignée camisarde ; famille de chétifs artisans, engeance de crève-misère ! Fils unique, l’enfant avait grandi dans une maison huguenote où présidait une vieille liseuse de Bible, son aïeule maternelle. Sa mère, l’épouse du tonnelier, cette bonne dame Madeleine, était la femme vantée par l’Écriture, la ménagère au goût des prédicans : dure au labeur, amassant, comptant, puis recomptant les liards, très positive, n’ayant au cœur ni roman, ni sornette, peu tentante, jamais tentée ; mais sèche et rêche, hargneuse en sa vertu jalouse, et possédant plus de qualités puritaines que d’orthographe académique. Tout autrement, hélas ! vivait son mari, la ruine, la perdition de l’édifiante échoppe. Ivrogne et libertin, friand d’émotions, chercheur d’aventures, écoutant volontiers le sergent racoleur, il n’avait rien d’un juste, prédestiné à la gloire éternelle. De bonne heure enjôlé par quelque La Tulipe, ce réprouvé avait planté là son fastidieux ménage. Soldat du Roi ! Et tandis que madame travaillait au logis, monsieur se prélassait aux pays de Cocagne. Tour à tour grenadier, marin, carabinier, il avait connu le soleil de maintes latitudes, la canne de nombreux capitaines, les Fanchettes de force courtilles. Parfois, profitant d’un congé temporaire, cet errant revenait au pays natal ; sa