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de redoutes, captures de batteries, sabrades et destruction de compagnies, de bataillons, de régimens ; en Vendée, dans les Flandres, en Allemagne, en Italie. Au siège de Gênes, défendant un des forts de la place, il avait déployé une énergie superbe, — repoussant sept assauts, meurtri par quatre éclats d’obus, et livrant ses combats porté sur un brancard. « Il me fallait un homme, lui écrivit alors Masséna, je l’ai trouvé !… » Les généraux employaient volontiers cet enfonceur de kaiserlicks. Pour eux, c’était le risque-tout, l’affronteur de la mort, la chair à canon qu’on peut sacrifier sans scrupule. A vingt-quatre ans, onze blessures lui labouraient le corps ; deux balles s’étaient logées dans son ventre d’où les carabins de l’armée n’avaient pu les extraire. Ces souvenirs de l’Autrichien le faisaient cruellement souffrir, occasionnant parfois d’étranges accès de frénésie… Et pourtant, héros de neuf campagnes, entaillé par le sabre, troué par les baïonnettes, Donnadieu-Donne-au-Diable n’était encore que capitaine.

Il arrivait de Lodi, en Cisalpine, où casernait la 12e de dragons. Son colonel, le chef de brigade Pages, l’avait chargé d’une ennuyeuse mission, d’un achat d’équipemens militaires, corvée de bottes et de schabraques, mais que Donnadieu avait acceptée joyeusement. Paris, avec ses restaurans, ses tripots, ses bastringues, ses promeneuses de Tivoli, ses grisettes des Folies-Beaujon, attirait le peu continent jeune homme. Bien qu’éreinté par tant de batailles, il était resté beau coureur, Valmont d’estaminet, débaucheur de tendrons et de nicettes. A Lodi toutefois, ce genre de Paméla devait être un oiseau assez rare, et parmi tant de mantilles noires, de jupons rouges, de claquetantes galoches, Donnadieu n’avait pu trouver « l’amie » selon son cœur. Le dragon se proposait donc de la dénicher à Paris : il déniaiserait cette innocence, puis la ramènerait en vainqueur dans l’ennuyeuse garnison. Admirable dessein !…

Mais d’autres projets, moins folâtres, lui trottaient encore dans la tête. Depuis longtemps, ambitieuse et farouche, une obsession travaillait sa maladive cervelle : devenir chef d’escadrons ou se venger de Bonaparte. Et de fait, la malchance, résultat de son inconduite, semblait s’acharner sur un officier trop connu. Mal noté dans les bureaux de la police militaire, suspect aux familiers de la Malmaison, desservi par eux, il ne pouvait obtenir aucun avancement. Son nom, inscrit souvent sur les