de son haut sacerdoce. Un pareil manieur de « gueulard » n’était pas de rencontre facile, et Nicolas s’impatientait : « Un Bru tus ! soupirait-il souvent… Ah ! que n’ai-je un Brutus ! » Enfin, après maintes poursuites, il l’avait découvert.
Merveilleuse aventure, sa trouvaille tenait du miracle.
Se promenant sur les bords de la Seine, il avait, certain jour, aperçu un homme qu’entraînait le courant du fleuve. Bon nageur, Nicolas avait aussitôt plongé, puis ramené sur la berge un désespéré de la vie. Alors, une lamentable scène, avec situation et dialogue dans le grand art de Pixerécourt : « Laissez-moi, laissez-moi ! Je veux mourir ! » — « Mourir ?… Un être vertueux ressent avec délices le charme de l’existence. » — « Elle m’est devenue un supplice. » — « Infortuné !… Epanchez dans mon cœur vos douloureux secrets. » — « Ame sensible, généreux bienfaiteur, l’excès de mes souffrances m’a entraîné vers le néant !… J’habite Lyon avec ma famille : une adorable épouse et les enfans, doux fruits de notre union ; mais, hélas ! nous périssons sous les coups du destin : on m’a destitué ! Je suis venu à Paris pour implorer des secours, on m’a éconduit !… Je veux mourir ; laissez-moi mourir ! » Mais soudain Nicolas, se faisant et sublime et terrible :
— Le sacrifice de votre vie est résolu ? Soit ! Je la prends… Le sort de votre femme, celui de vos enfans seront désormais assurés. Mais vous, — comprenez bien ! — vous m’appartenez, vous êtes tout à moi : vous me vendez votre âme… Ne me remerciez pas. Non, je ne suis point la Charité ; je me nomme la Vengeance !… Acceptez-vous le pacte ?
— J’accepte !
Depuis lors, affirmait le conteur, son dernier Romain, bien nourri, bien logé, attendait ses ordres : on avait un Brutus, entretenu au mois.
« A beau mentir qui vient de loin, » dit le proverbe. Certes, l’histoire était invraisemblable, bien mirifique, et aurait eu besoin d’un tremolo d’orchestre. Pourtant, les conspirateurs de la « Patience » ajoutèrent foi à ce récit ; même Donnadieu s’imagina que le Brutus sauvé des eaux était un général Argoud[1].
- ↑ Cette extravagante histoire est racontée tout au long par Année, dans une curieuse brochure, publiée sous la Restauration. Son ami Donnadieu lui avait servi ce conte au moins étrange. Or, chose plus bizarre encore, divers dossiers de police semblent, en partie, le confirmer !