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Brutus disparut. Parti avec l’argent, sans respect de la parole jurée, emportant dans sa fuite le secret du complot ! On l’avait, en vain, fait chercher à Lyon… Introuvable, évanoui dans les brouillards de la Saône et du Rhône !

Mais homme aux mille ressources, Nicolas s’était procuré un Brutus de rechange. Il l’avait, celui-là, déniché au quartier latin, dans la gueuserie d’un hôtel meublé. Le nouveau paladin était Corse, et se nommait Giacopello Péretti, ancien capitaine à la 31e demi-brigade légère. Fort grossier, très bandit, estropiant le français, cet indigène de Livadia possédait cependant deux qualités requises chez tout bon destructeur de tyran : le besoin d’argent et la haine. Sa misère était navrante. Il couchait à la semaine, dans un garni de la place Cambrai, et pour gagner quelques décimes, la signora sa femme faisait les chambres, lavait les écuelles, balayait l’escalier du pouillis. Quant à sa haine, elle était corse. Mis en réforme, Giacopello disait exécrer Buonaparte avec des fureurs de vendetta : « Garde toi ; je me garde !… » D’aucuns, pourtant, se méfiaient de ce petit chafouin, au regard à la fois farouche et rusé. Expert dans l’art de l’escroquerie, ayant fabriqué des faux, souvent en délicatesse avec la Justice, le Péretti manquait de prestige. Vraiment, la Liberté avait droit à un autre vengeur !…

Nicolas reconnut la vérité de ces critiques : son Brutus n° 2 ne faisait aucunement l’affaire !… Soit ! Plus de Giacopello, porteur de pétition : on chercherait un justicier de meilleure mine ! Mais alors, pourquoi ne pas choisir un officier de cavalerie, pouvant prendre place dans l’escorte du Consul, chevaucher à sa suite, lui loger dans la tête deux balles de pistolet… Eh ! mais, n’avait-on pas sous la main Donnadieu ?…

Cœur gonflé de gloriole, Donnadieu fut-il assez fou pour accepter un premier rôle dans ce drame de démence et de sang ? Il prétendit, plus tard, avoir refusé de « commettre un crime ; » la police, toutefois, ne crut jamais à ses dénégations… Au surplus, la résistance d’un homme qu’exaspéraient d’aussi farouches rancœurs ressembla fort à un assentiment. Rusant avec sa conscience, — nous avons ses aveux, — il promit de s’associer au meurtre, de frayer passage à l’assassin, de protéger sa fuite : son délicat honneur s’abstenait de tuer, mais il aidait à la tuerie.


Et les jours s’écoulèrent ; les marronniers du Luxembourg