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Il n’est pas probable que l’histoire en ait jamais la preuve : on ne va pas ordinairement devant un notaire, on ne constate point par acte sous seing privé de tels arrangemens. Dans les Mémoires de Bernhardi, on a supprimé tout ce qui avait trait à cette négociation, et dans les écrits de Lothar Bucher, l’agent décisif du dernier moment, on n’a pas reproduit ce qui se référait à l’affaire capitale de sa carrière. Nous ne connaissons que les confidences faites à son ami Busch.

Toutefois, à défaut de preuves, qu’à moins de hasards imprévus, on n’aura jamais, les présomptions accusatrices abondent. Prim n’ignorait pas, puisque tout le monde le savait ou le devinait et que, d’ailleurs, Mercier l’avait dit à son ministre Silvela, que l’élection d’un prince prussien occasionnerait un vif déplaisir à l’Empereur, et il se déclarait prêt, en fier hidalgo, à braver les conséquences périlleuses de ce déplaisir. « Ayons une bonne fois de l’énergie, dit-il à Salazar ; bientôt se dissiperont tous les périls. Les mariages de 1846 sont un exemple éloquent de ce que peuvent perdre les nations qui ne sont pas, à des momens donnés, à la hauteur de la situation. L’Espagne serait peut-être heureuse sous le règne d’Isabelle II, si une crainte puérile de l’Angleterre n’avait pas empêché le mariage de la Reine avec le duc de Montpensier. » On ne peut donc admettre, comme l’ont fait certains de ses défenseurs naïfs ou irréfléchis, que le véritable mobile de Prim ait été de sortir d’une incertitude excédante, puisque, pour fuir cette incertitude, il se jetait dans la plus hasardeuse des complications. Si son dessein avait été désintéressé, avouable, pourquoi l’aurait-il caché à Olozaga, son ancien compagnon de luttes ? à moi, qu’il savait si bien disposé à l’obliger ? Pourquoi ne l’aurait-il pas révélé à cet Empereur, dont il avait reçu tant de témoignages de bonté, et dont il avait éprouvé la fidélité à taire le secret d’Etat ? Pourquoi s’être enveloppé de ce mystère qu’on ne garde qu’entre complices d’une mauvaise action ? Pourquoi cette menace à celui à qui il ne pouvait rien cacher, Salazar : « Si tu parles, je te fais sauter le couvercle de la cervelle ! » Le célèbre professeur allemand, Hans Delbrück, tout en refusant à ce mystère un caractère de provocation, a dit courageusement : « Le secret gardé