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ministres : « Mon général, je ne puis vous suivre dans le chemin qui conduit à la République. » Sa démission avait entraîné celle de Rios-Rosas, président du Conseil d’État et des principaux fonctionnaires appartenant au parti de Montpensier.

Au premier abord, on crut que cette sortie des Unionistes entraînerait la démission de Serrano. Mais le Régent, tout en restant l’ami du duc, n’était plus son partisan politique ; il se renfermait de plus en plus dans une abstention indifférente : « La seule chose à laquelle je m’opposerai résolument, c’est la République, à cause du mal qu’elle pourrait faire, non seulement à nous, mais à nos voisins et à toute l’Europe. Je lui préfère mille fois le prince Alphonse, Espartero, n’importe qui, pourvu que ce soit un roi. » Les Unionistes eux-mêmes ne poussèrent pas les hostilités à fond ; une forte majorité se constitua autour de Prim, dont le pouvoir gagna en vigueur ce qu’il perdait en surface.

Lothar Bucher et Versen furent reçus avec un empressement, une cordialité exceptionnels, promenés, endoctrinés, cajolés. Prim détourna les soupçons que leur présence aurait pu inspirer par une amusoire aussi bien combinée que celle par laquelle Bismarck avait empêché Benedetti de pénétrer la cause réelle de la présence des princes de Hohenzollern à Berlin. Il affectait de n’être préoccupé que des difficultés d’organiser l’intérim. Il dissertait gravement avec Mercier sur les conditions dans lesquelles on consoliderait cet intérim, et sur le Régent qui serait placé à la tête. « Ce doit être, disait-il, Serrano. Il s’est parfaitement conduit au pouvoir, son patriotisme n’est pas douteux, je m’entendrai toujours bien avec lui ; Mais mon parti n’a pas la même confiance ; il se rappelle 1856 ; il croit que les généraux unionistes ne sont rien moins que libéraux, qu’ils n’attendent qu’une occasion pour détruire la liberté, et qu’ils la trouveront bientôt, si Serrano reste maître de la Régence. Il veut donc que ce soit moi, et non lui, qui occupe cette position. Mais voyez dans quel embarras cela me mettrait ! On ne manquerait pas de dire, et tout le monde de croire que je sacrifie tout à mon ambition et que je n’ai travaillé qu’à me débarrasser de Serrano pour prendre sa place. Je suis habitué à tous les déboires des luttes politiques, et je sais les affronter ; mais il y a dans le jeu que l’on veut me faire jouer, quelque chose qui répugne à ma délicatesse et à ma loyauté ; jamais je ne me suis trouvé dans