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l’on prévit, en effet, que, pour garder les distances, les artistes en noir et blanc allaient être obligés d’émigrer et de découvrir de nouveaux domaines. Sur leur ancien terrain, la reproduction des œuvres des peintres, les graveurs étaient, d’avance, vaincus. S’obstiner à rayer d’une multitude de petits traits entre-croisés une plaque de métal pour signifier aux yeux ce qu’un déclic de l’appareil photographique suffit à réaliser en une matière grasse et pleine, devenait un labeur risible, comme la tâche imposée aux héros des contes de fées, de retrouver un boisseau de perles semées dans une forêt. Vainement prétend-on quelquefois encore que l’œuvre gravée en taille-douce « vit d’une double vie, » la vie empruntée au chef-d’œuvre peint, et la vie donnée par le graveur à son interprétation. Il n’est point possible de se dissimuler qu’un procédé qui oblige à exprimer un ciel par un semis de traits ou de points, et un nuage par les mailles d’un filet, s’il fut jadis un mal nécessaire, fut toujours un mal. Et loin que le graveur « anime son œuvre d’une double vie, » il serait quasi vrai de dire qu’il la fait périr d’une mort double. Il commence par tuer l’original à cause de l’impossibilité où il est de reproduire par des traits les teintes liées, les dégradations insensibles et fondues, les coulées de pâte de la peinture, et il ne peut créer, à sa place, une belle gravure, parce que tenu à une certaine exactitude d’imitation, il n’ose choisir les effets où triomphe son burin, mais reste enchaîné à ceux où a triomphé le pinceau, en sorte que son œuvre, à la fois asservie et infidèle, n’a ni le mérite de l’exactitude, ni le charme de la fantaisie.

La photographie, en se chargeant de ses besognes serviles, lui rend la liberté. En l’expulsant, elle le délivre. L’Estampe originale lui permet, pour peu qu’il en ait, de montrer son génie. Et pour que ce génie se trouve à l’aise, loin de toute concurrence mécanique, l’estampe lui offre deux ressources que n’a pas la photographie, même entre les mains de ses meilleurs maîtres : le trait synthétique et la couleur.

Le trait synthétique, c’est-à-dire presque toujours le contour extérieur du dessin, l’outline, est, il est vrai, une pure convention. La Nature ne se compose pas de « lignes ; » mais il est non moins vrai que la ligne est ce que l’œil saisit le mieux dans la Nature et lorsqu’il n’en trouve pas de définie, le cerveau s’efforce à lui en composer une avec les points qui, çà et là, peuvent en fournir le départ, les étapes et le terme. L’exemple le