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plus accepta-t-il de s’entremettre pour solliciter du Bourbon de Madrid qu’il nourrît les serviteurs du Bourbon émigré. La réponse tarda, arriva encore trop tôt : un soir, à la veillée, le roi de Sardaigne soupira très près de l’oreille d’Artois : « Mon frère d’Espagne n’a pas un sol ! » Artois comprit : ce fut le premier déboire d’un Bourbon on exil ! ce ne devait pas être le dernier. Le prince se vengeait en désespérant la Cour de France par ses dangereuses fanfaronnades et ses manifestations contre-révolutionnaires : on l’avertissait qu’il exposait ses augustes parens, restés à Paris, aux pires représailles. « Que n’étaient-ils à Turin ! » Lui ne connaissait que son honneur. « Serait-il caché sous la foudre, j’irais l’exciter à tomber sur moi. » Plus tard il parut moins pressé d’aller chercher son honneur sous la foudre quand elle menaçait la Vendée ; pour le moment, il ne l’appelait libéralement que sur la tête des siens, otages aujourd’hui, dont il va faire demain des victimes.

Condé venait à la rescousse : « Oui, j’irai, malgré l’horreur que doit naturellement inspirer à un descendant de saint Louis l’idée de tremper son épée dans le sang des Français, j’irai à la tête de la noblesse de toutes les nations et suivi de tous les sujets fidèles à leur roi qui se réunissent sous mes drapeaux, j’irai tenter de délivrer ce monarque infortuné. » C’était absurde : ni « la noblesse de toutes les nations » n’avait donné sa parole, ni le « monarque infortuné » ne priait ses « fidèles sujets » d’attaquer leur pays. « Guillaume Tell, écrivait Esterhazy, qui ne frappera que la tête sans abattre la pomme. » Des Tuileries on les priait tous de se taire, mais Artois négociait avec l’Europe, et Condé levait sa légion sans s’émouvoir. Calonne, premier ministre de l’Emigration, tranchait de l’homme d’Etat, refusant de se soumettre aux instructions formellement données aux vrais représentais de Louis XVI, Bombelles ou Breteuil. « Qu’est-ce que roi en ce moment-ci ? disait Artois : il n’est de roi que moi ! » Fort affairé, il s’agitait pour remplacer le Roi « captif des jacobins : » il allait tout arranger, tout écraser ; n’était-il pas le descendant du grand Henri ? Il courait un jour au-devant de ses tantes, car ces vieilles dames, filles de Louis XV, émigraient très solennellement, passant les Alpes avec 1 200 carrosses ; un autre jour, n’ayant pu obtenir d’aller à Vienne exciter les courages contre la France, il s’en allait obséder de ses sollicitations l’Empereur à Mantoue. Celui-ci, bien sermonné par