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Le Comte d’Artois était resté quelques mois à Ham. Les émigrés l’incitaient à tirer l’épée. Il laissait grandir le bruit que nul ne restaurerait les lys que lui ; il passait sa vie, la main sur la garde de son épée ; peut-être à cette époque était-il sincère, prêt à la tirer. Il demanda derechef à l’Angleterre de lui fournir de bons bateaux et de bons soldats, car de se jeter seul au milieu des paysans insurgés de l’Ouest ne lui sembla jamais chose « praticable. » Pitt refusa : Artois déclara « qu’il irait malgré Pitt : » c’était une phrase ; comment monter malgré Pitt autrement que sur une barque ? Il entendit plaider sa cause, voulut gagner l’Angleterre, fut, sur les instructions de Londres, retenu à Rotterdam par York. La « barque de pêcheur, » à laquelle César un jour confia sa fortune et dont parlera Bonaparte, ne le tentant point, il envoya, par le comte de Puisaye, quelques paroles témoignant à « ses intrépides compagnons d’armes » de Vendée « son désir brûlant de se trouver à leur tête. »

Tout allait bien d’ailleurs : Louis XVIII se faisait communiquer à Vérone les ouvrages spéciaux sur le cérémonial du sacre : ce prince si caustique songeait-il que provisoirement le manteau du sacre était fourré de peau d’ours ? Il est vrai que la Russie et la Suède le reconnaissaient roi : et quant au reste de l’Europe, le Roi s’imposerait a son estime en tirant la fameuse épée d’Henri IV. « Ce n’est qu’en Vendée, écrivait-il, que je puis réellement l’imiter (le Béarnais), mourir ou satisfaire les regards de l’Europe fixés sur moi. » Mais Vérone est si loin de Nantes !

De fait, la Vendée bougeait derechef. À Londres, on pensait maintenant qu’il y avait quelque chose à faire : exciter la guerre civile en France et subsidiairement se débarrasser de ces émigrés, « vraie peste, » écrivait de Londres même Woronsof.

Le bruit courut que le cabinet de Saint-James allait laisser à l’héroïsme impatient d’Artois la carrière libre. Dans l’Ouest, un grand vent d’enthousiasme souffla : « Le prince, on allait voir le prince ! »

Ce fut Quiberon. On en sait l’histoire : le prince se déroba derrière l’Angleterre qui « ne pouvait décidément proposer à Son Altesse de se joindre à une expédition dont l’issue pourrait être incertaine. » Si les 40 000 Chouans promis par Puisaye étaient