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a en lui une vertu qui lui est propre et qui en fait une condition de la vérité. Au cours de ses leçons notre professeur sera-t-il éloquent ? Le terme ne me ferait pas peur ; mais il a été discrédité et détourné de son véritable sens. Disons seulement qu’il sera un savant homme habile à parler. Il peut ainsi grouper autour de sa chaire ceux mêmes qui ne font pas fonction de spécialistes : il ne restreint pas son enseignement dans les limites étroites d’un séminaire à l’allemande ; il le répand au contraire pour qu’il aille enrichir d’autant le patrimoine intellectuel d’une élite. Il bénéficie de la culture générale et, en retour, il y contribue. Cet enseignement, le maître le fait passer ensuite dans ses livres : les leçons remaniées, modifiées, reparaissent sous une autre forme et s’adressent maintenant aux lecteurs. Longue serait la liste de ces livres issus des nécessités de notre enseignement supérieur et dont on peut dire que, s’ils avaient manqué, c’eût été une importante lacune dans notre littérature du XIXe siècle… Tout ce que je viens de dire pour essayer de tracer ce portrait d’un professeur savant et brillant — à la française — s’applique exactement à Emile Gebhart. Il fut un type excellent de l’érudit littérateur et de l’écrivain façonné par le milieu universitaire. Et c’est pourquoi il n’y a pas seulement un intérêt de souvenir à évoquer son image, au moment où il vient de disparaître : il est utile de rappeler les traits qui se dégagent de son œuvre et de décrire avec quelque précision la famille d’esprits qu’il représentait.

L’homme était des plus complexes qu’il se puisse imaginer ; pour ceux mêmes qui l’ont approché de plus près et qui ont vécu le plus longuement dans sa familiarité, il n’a cessé de garder un je ne sais quoi d’énigmatique. Quant aux autres, collègues, disciples, gens du monde, qui, peu à peu, d’étrangers devenaient pour lui des amis, voici par quelles étapes ils passaient et quelle série de découvertes ils faisaient, pour s’en réjouir à mesure. La première apparence était assez déconcertante : une tête toute ronde, des joues et un col tout bouffi de graisse : on eût juré de quelque chanoine ou moine rabelaisien. Seulement, l’œil petit, vif, mobile et qui s’éclairait de soudaine lueurs, trahissait l’esprit qui veillait sous cette apparence endormie, un esprit curieux, observateur, amusé des choses de la vie. Obstinément silencieux dans les endroits où il ne se sentait pas en confiance, Gebhart, même dans les maisons où il était intime, attendait un peu avant de s’engager dans la conversation. Il lui fallait quelque temps pour se mettre en train. Mais alors, c’était, une joie de l’entendre D’autres ont la saillie originale, la remarque imprévue qui amuse