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passer le Mein, c’était jouer son jeu et lui fournir des prétextes pour raviver les passions nationales et les retourner contre la France. »

Daru sentit la gravité de mon acte et m’écrivit : « Mon cher collègue, il a paru dans la Gazette de Cologne un article que je vous envoie et que je regrette. On y dit, d’abord, que le général Fleury a dû cesser d’après mes instructions les démarches qu’il avait commencées pour se plaindre de l’inexécution de l’article 5 du traité de Prague. Ceci est déjà fâcheux et produira un très mauvais effet dans le public. Il eût mille fois mieux valu ne pas parler de tout cela. En outre, le ton de l’article est empreint d’une bonne volonté extrême pour la Prusse ; on y entre dans des détails qui vont être répétés partout. Ces sympathies prussiennes n’ont rien d’étonnant puisque la note de la Gazette de Cologne est attribuée à M. Levison, qui est Prussien, qui se vante d’avoir des relations avec vous et de parler en votre nom. S’il dit vrai, songez, mon cher collègue, à l’inconvénient de ses indiscrétions, et ne lui confiez plus rien. Notre politique souffre déjà des divisions que l’on exploite quant à la question romaine. On va les exploiter également quant à la question prussienne. »

Ma réponse ne se fit pas attendre. Ce fut la note suivante, insérée dans la Gazette de Cologne : « De plusieurs côtés on a attaqué dans leur ensemble ou contesté dans les détails ma récente communication sur les sentimens d’amitié qui dominent dans le Cabinet français à l’égard de l’Allemagne et de la Prusse. Je n’y ferai aujourd’hui que cette simple réponse, c’est que je maintiens mot pour mot tout ce que j’ai avancé et, de plus, que j’ai été autorisé à nommer la personne de qui je tiens, jusqu’aux moindres détails, tout ce que j’ai dit. Ce n’est autre que M. Ollivier, ministre de la Justice… Ollivier me disait encore, il y a à peine quarante-huit heures : « Il n’existe pas en ce moment de question allemande (24 mars 1870). »

S’il y avait eu une décision à prendre sur une conduite immédiate à tenir, comme nous n’avions cédé ni Daru ni moi, la dislocation du ministère se fût produite incontinent. Mais comme il ne s’agissait que d’une discussion abstraite sur une éventualité éloignée, tout se réduisit à des explications dans lesquelles chacun maintint, mais d’une manière très courtoise, son point de vue personnel. J’exprimai sans ambages ma résolution de répéter mon opinion toutes les fois que Daru sortirait de la