Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/459

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et du silence, entrent peu à peu un avocat, un médecin, d’autres personnes encore. Nous apprenons d’elles l’histoire tragique dont cette maison fut, il y a quelques semaines, le théâtre. La femme de chambre de M. et Mme de Sergeac, entrant chez ses maîtres, un beau matin, a trouvé la jeune Mme de Sergeac étendue, morte ; auprès d’elle, son mari, blessé de plusieurs balles, évanoui. Il y a eu crime. Mais quelle sorte de crime, et qui est le criminel ? Sergeac, en proie à une sorte de fièvre chaude, est resté longtemps entre la vie et la mort. A peu près rétabli, il a gardé de cette secousse une amnésie partielle : sa mémoire expire au seuil du drame dont il a failli être l’une des victimes. Avocat et médecin ont résolu de faire une tentative pour réveiller en lui le souvenir… Mais le voici lui-même, hâve, l’œil vague et inquiet, la figure bouleversée, la démarche hésitante, apparition vraiment terrifiante de l’hôpital des fous. Il ignore que sa femme est morte. Il veut la revoir. Il interpelle violemment les gens qui l’entourent : son père et M. de Lorsy son beau-père. C’est un bruit de vociférations, une tempête de gesticulations. Enfin, peu à peu, il se rappelle et la scène s’évêque à ses yeux. Il avait chassé tout le jour ; le soir, il devait partir pour Paris ; il n’est pas parti. Il est allé jusqu’à la gare, mais il est revenu chez lui ; il est entré dans la chambre de sa femme : il l’y a trouvée aux bras d’un amant. Cette femme, il la voit maintenant à terre toute sanglante : elle a été tuée, mais tuée par qui ? « Par toi, misérable ! » éclate le beau-père qui assiste à l’interrogatoire. — Par moi !… ah ! par moi ! » Une chute, le bruit d’un front cognant sur les planches du théâtre, c’est tout ce qu’on entend. Épuisé par la commotion, brisé par l’effort de l’aveu, Sergeac est tombé sans connaissance. La toile baisse : nous restons quelque temps bouleversés, remués. C’est la même sensation pénible qu’on éprouve à voir dans la rue un homme tomber du haut mal.

Et cela fait bien un tout. Un crime a été commis ; nous venons d’assister à l’enquête qui nous a livré le nom du coupable : nous n’en demandons pas davantage. Apparemment la justice va suivre son cours. Le meurtrier sera-t-il acquitté ou condamné ? Parviendra-t-on à étouffer l’affaire ? Peu nous importe, au surplus. Nous ne connaissions pas ces gens et nous continuons à ne pas les connaître. Il n’y a pas de jour que n’éclate quelque drame de famille dont les feuilles publiques ou les gazettes spéciales nous apportent le récit détaillé. C’est un fait divers dont le hasard nous a rendus quasiment les témoins : ce n’est pas autre chose. La première pièce est terminée.