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raconta à notre ministre Saint-Vallier les conversations de son maître avec Bismarck. Il lui aurait dit avec une fermeté qui le déconcertait : « De mon vivant, il ne sera pas porté atteinte à l’indépendance des États de l’Allemagne du Sud. Nous sommes vos meilleurs amis ; nous voulons le demeurer ; mais prenez garde à ne pas encourager par votre altitude ou par vos journaux l’exaltation protestante et germanique qui se montre parmi les provinces Baltiques. » Enfin, sur un ton dont la froideur même était significative : « Terminez donc équitablement cette affaire du Sleswig septentrional ; il y a là un ferment dangereux pour l’avenir. La France, à un moment donné, peut y trouver un prétexte utile en même temps qu’un allié précieux, et je vous le déclare, si des embarras vous viennent de ce côté-là, ne vous en prenez qu’à vous et ne comptez pas sur moi pour vous aider à en sortir. » Bismarck aurait répondu par des assurances réitérées de réserve et de modération en ce qui touche la question allemande ; il aurait affirmé son désir de voir la paix se maintenir, son respect pour les droits et pour l’indépendance des États situés au Sud du Mein ; il aurait nié avec énergie la participation du Cabinet de Berlin aux encouragemens que rencontrent en Allemagne les aspirations religieuses et politiques des populations Baltiques. Sur la question du Sleswig il aurait cherché à abriter sa responsabilité en invoquant les vues et la volonté personnelle du Roi. Du reste, Bismarck n’aurait pas charmé le Tsar ; celui-ci l’aurait trouvé enjoué, mais lourd, embarrassé, plein de lieux communs et de banalités, répétant les mêmes anecdotes, les mêmes plaisanteries, riant aux éclats des jeux de mots les plus rebattus, comme s’il les entendait pour la première fois. Au contraire, les relations de l’Empereur et du Roi avaient été particulièrement confiantes et intimes, et les sympathies anciennes s’étaient resserrées et, en quelque sorte, réchauffées.

Varnbuhler, qui n’avait eu qu’une courte audience de l’empereur Alexandre, fut invité par ce souverain à l’accompagner jusqu’à la frontière wurtembergeoise et rapporta cette conversation aussi à Saint-Vallier... « Je puis vous affirmer, lui avait dit le Tsar, qu’aussi longtemps que vivra mon cher et bien-aimé oncle le roi Guillaume et que je vivrai moi-même, vous ne courrez aucun péril sérieux ; je connais les intentions et les vues de mon oncle ; je suis sûr de ses sentimens comme des miens, et je sais que les ambitieux et les ardens annexionnistes prussiens