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ne me ferai jamais le protecteur d’un pays troublé, d’un foyer de propagande révolutionnaire ; une agression injuste de la Prusse contre le Wurtemberg calme et paisible rencontrerait mon opposition ; une intervention de la Prusse pour rétablir l’ordre dans ce même Wurtemberg livré aux passions démagogiques n’exciterait, au contraire, chez moi, qu’un sentiment d’approbation. »


V

Le 4 juin, Bismarck était rentré à Berlin où l’avait rejoint Lothar Blücher. Il repart avec celui-ci le 8 juin pour Varzin, où il appelle ensuite Keudell. D’ordinaire il allait s’y reposer et écartait de lui les conseillers qui pouvaient le ramener aux soucis du jour. Cette fois il travaillera plus que jamais ; il combine, écrit, envoie, reçoit des télégrammes chiffrés. Keudell et Bûcher déchiffrent pendant plus de la moitié du jour et, quand ils ne peuvent plus suffire au travail, Bismarck les aide lui-même, ainsi que la comtesse Marie, sa fille. C’est là qu’est définitivement arrêté le plan qui va être mis à exécution.

L’action sera engagée par Prim ; il enverra Salazar offrir officiellement la couronne au prince ; il retiendra les Cortès en session jusqu’au retour de l’envoyé, leur communiquera l’acceptation de Léopold, enlèvera le vote qui le proclamera roi, et Léopold viendra aussitôt prendre possession de son trône. Le plus profond secret aura continué à être gardé ; la France ne connaîtra la candidature que lorsque les Cortès la proclameront, et ainsi Napoléon III n’aura pas le temps de se jeter au travers de l’entreprise et de la contrecarrer. La France réveillée en sursaut s’indignera ; son gouvernement (Bismarck n’en peut plus douter depuis les interrogations de Benedetti) demandera au Roi d’interdire à son parent et sujet de se rendre en Espagne. Mais l’ambassadeur de France ne trouvera à Berlin ni le Roi qui sera à Ems, ni Bismarck tapi à Varzin ; il en sera réduit à Thile, le muet du sérail. Celui-ci fera l’étonné : il ignore ce dont on lui parle ; la candidature de Léopold est tout à fait étrangère à son gouvernement ; le choix d’un roi est l’affaire des Espagnols seuls ; la Prusse est trop soucieuse de son indépendance pour porter atteinte à celle des autres. Bismarck supposait bien que nous ne nous laisserions pas bafouer de la sorte et que nous