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insisterions ; alors il sortirait de sa taupinière, crierait à la provocation, ameuterait l’Allemagne et appellerait à la rescousse l’Espagne, dont notre prohibition aurait rendu l’intérêt identique à l’intérêt prussien. Si nous commettions la balourdise, dont il aimait à nous croire capables, de prendre à partie l’Espagne, Prim gonflerait emphatiquement la voix, évoquerait la souveraineté du peuple espagnol, répondrait aux remontrances en hâtant la solution contre laquelle nous protestions, et Bismarck accourrait au secours du prince allemand représentant l’indépendance espagnole. Ainsi, quoi que nous fissions, il nous jetait dans des embarras inextricables, et il comptait qu’affolés, ne sachant à qui parler, acculés à des humiliations sans précédent, nous ne trouverions d’autre moyen de sortir de cette impasse qu’en déclarant la guerre dont il avait besoin et que nous aurions à soutenir à la fois sur les Pyrénées et sur le Rhin.

Ce plan diplomatique est aussi admirablement combiné que le plan stratégique de Moltke. Tout y est prévu. Aucune ingérence extérieure n’était à craindre. Gladstone ne tenait pas à une action européenne, et ne l’eût exercée qu’au profit de la Prusse ; si Clarendon s’abandonnait à ses sympathies françaises, il les contiendrait. Beust, actif seulement par la plume, avait à ses pieds deux boulets, la Hongrie et la Russie, qui l’empêcheraient de remuer. La question romaine soulevée en Italie par un ministère dévoué à la Prusse aurait raison des velléités reconnaissantes de Victor-Emmanuel. L’insuccès ne pourrait se produire que si le Roi, les Hohenzollern ou Prim se laissaient ébranler et ne remplissaient pas vigoureusement leur rôle dans l’œuvre commune. Et cela ne paraissait à redouter d’aucun d’entre eux.

On avait hésité sur le meilleur moment à choisir pour l’action. Serait-ce en juin ou en octobre ? Juin avait été préféré d’abord parce que c’était le moment où la dispersion générale des souverains et des diplomates rendrait plus difficiles les explications, à Berlin notamment où le vide serait le plus complet, ensuite parce que le secret, condition essentielle du succès, devenait de moins en moins assuré à mesure qu’un plus grand nombre de gens y était initié.

Bismarck communiqua ce plan à Prim et, de nouveau, dépêches et lettres s’échangèrent, sinon directement, du moins à l’aide d’intermédiaires. L’historien espagnol Pirala a publié