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mesure était indispensable. » Il n’invoqua pas un argument qui pût éveiller la susceptibilité la plus ombrageuse, et il ne prononça qu’une parole un peu accentuée : « D’ailleurs si, par impossible, la neutralité de la Suisse était menacée, ne sommes-nous pas là pour la défendre ? » Et précisément parce que cette parole était accentuée, elle fut accueillie par un mouvement d’approbation vif et prolongé.

Au point de vue stratégique. Le Bœuf fut encore plus circonspect : « Une ligne de chemin de fer n’est dangereuse que lorsqu’elle arrive perpendiculairement sur la frontière ; quand elle est parallèle, elle n’est pas tout à fait sans importance, mais elle perd une grande partie de sa valeur militaire. Certainement, la ligne du Saint-Gothard, quand elle sera ouverte, changera un peu les conditions militaires entre la France et les pays voisins, l’équilibre en sera légèrement modifié, mais cela ne le changera pas d’une manière inquiétante. » Plichon, enfin, démontra que nos intérêts économiques ne seraient pas plus compromis que nos intérêts politiques et stratégiques, et que la ligne du Saint-Gothard, devant être la ligne la plus courte de Brindisi à Dunkerque. Calais et Paris, serait aussi utile aux populations du Nord que celle du Mont-Cenis l’était aux populations du Midi. Les intérêts de Marseille seraient en souffrance, mais on pouvait les sauvegarder par le prompt achèvement du canal du Rhône au Rhin.

Il n’y eut de provocation guerrière dans tout ce débat que de la part des députés de l’opposition. Ils soufflèrent à l’envi sur les passions belliqueuses : « Bien ne serait plus aisé, dit Estancelin, que d’essayer de raviver une plaie encore saignante, en demandant ici compte une fois de plus au gouvernement de ses momens de défaillance et d’angoisse qui, de l’unité italienne faite malgré nous, nous ont conduits à l’unité prussienne, faite aussi malgré nous, et peut-être malheureusement contre nous. Je ne le ferai pas ; je ne le crois aujourd’hui ni utile ni politique. » Sur quoi un député fit cette observation sensée : « Il n’en fallait pas parler alors. » Mais Estancelin en par la et, finalement, montra à la Prusse la pointe de l’épée : « Il y a peu de jours encore, dix millions de bulletins tombaient dans l’urne, séparés sur les questions politiques et sociales ; mais ils en sortiraient unis comme un faisceau invincible le jour où il s’agirait de défendre les intérêts ou l’honneur de notre pays, menacés par la