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dans ses entretiens diplomatiques. Je m’en aperçus moi-même un jour que je l’introduisis au Corps législatif où il désirait entendre Thiers. Il connaissait notre langue, notre pays, nos hommes d’Etat, l’Empereur, ne nourrissait aucun mauvais sentiment à notre égard, mais il n’était disposé à nous être sympathique que dans la mesure où le lui permettraient Gladstone et surtout la Reine à laquelle il était inféodé, qui lui avait conféré la dignité de lord Warden of Cinque ports et qu’il avait servie contre son chef Palmerston. Le premier mot qu’il entendit en prenant possession de son ministère fut celui que j’avais moi-même prononcé devant le Corps législatif. Hammond, sous-secrétaire d’État perpétuel au Foreign Office, lui dit « qu’il ne se souvenait pas avoir jamais vu l’Europe plus tranquille, et que jamais il n’y avait eu moins de dangers de complications sérieuses. »

L’accalmie était en effet générale. Ministres et diplomates gagnaient leurs villégiatures ; Serrano s’installait à la Granja ; Gortchakof se préparait à quitter Pétersbourg ; Benedetti se rendait à Wildbad ; le prince Napoléon, en compagnie de Renan et de quelques amis, commençait une croisière dans les mers du Nord. A Saint-Cloud, où l’Empereur avait transporté sa résidence, on ne s’occupait ni de diplomatie ni de guerre, pas même de politique intérieure ; la session s’achevait tranquillement par la discussion du budget. On y était exclusivement préoccupé de la santé de l’Empereur. Depuis quelque temps, ses accidens habituels se reproduisaient avec fréquence. Il disait à Franceschini Pietri : « Je me sens là un paquet de pointes d’aiguilles qui m’enlève toutes mes forces. » En public, grâce à un effort inouï de volonté, il se tenait debout et restait encore imposant ; ne sentait-il plus un regard scrutateur posé sur lui, il s’affaissait, et faisait parfois pitié à contempler. On parlait de l’envoyer aux eaux et on se demandait auxquelles.

La duchesse de Mouchy avait grande confiance, quoiqu’il fût classé parmi les ennemis de l’Empire, en un jeune médecin des hôpitaux, depuis devenu célèbre, Germain Sée, déjà réputé pour la perspicacité de son diagnostic. Elle l’interrogea sur les eaux les plus appropriées. Il répondit qu’il était impossible d’avoir un avis avant d’avoir examiné le malade. En conséquence, il fut mandé à Saint-Cloud le 19 juin. Il trouva l’Empereur assis, une