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vergogne, travaillant de préférence avec les conspirateurs monarchiens, l’inspecteur général Dossonville avait su empocher à la fois les assignats de la République et l’argent clandestin du Roi : c’était une âme indépendante, un irrégulier dans son art, un pur romantique, un esthète. Fin limier, néanmoins, ayant du flair, osant braver les mauvais coups et s’étant acquis du renom par maintes périlleuses prouesses !... Mais, dit un vieux dicton, « tel cuide engeigner les autres qui s’engeigne soi-même ! » A force de biaiser et de ruser, de mentir et de trahir, ce malin s’était fait briser par un autre malin : au Dix-huit Fructidor, on l’avait arrêté. Barras, beau connaisseur en gredineries, avait donc déporté Dossonville dans les marais de la Guyane, expédié l’aigrefin aux moustiques de la fièvre jaune, fabriquant ainsi un martyr...

Le martyr toutefois n’avait pas été d’humeur à coloniser les cimetières : certain soir il s’était échappé. Oh ! une évasion mémorable, une fuite héroïque, tout un drame traversé par d’effarantes péripéties, sur un frêle canot, dans les immensités de l’Océan, en compagnie de Pichegru et d’autres gens d’audace. Et voici qu’après une longue absence, la victime de Barras venait soudain de reparaître à Paris, Maintenant, puissance déchue, épave des tourmentes politiques, sans fortune, sans fonctions de l’Etat, le héros, le martyr, vivotait pauvrement au quartier du Mail, traînant ses jours d’ennui de café en café, s’asseyant chaque soir au Salon des Arcades. Il affichait, d’ailleurs, d’exaltés sentimens royalistes, et devenu disert, verbeux, grand discoureur, pérorait sans aucune retenue. Ses amis d’autrefois l’avaient aussitôt fréquenté, lui prêtant de l’honneur, croyant à son génie. Or, trop fertile cerveau, cœur sans gênans scrupules, l’inventif Dossonville faisait en ce moment l’odieux métier d’agent provocateur...

Il arrivait d’Autriche, sorti récemment de la prison d’Olmutz, et reparti en guerre pour de nouveaux exploits. La malchance, en effet, semblait s’être, un instant, attachée à ses grègues : accusé d’escroquerie, convaincu de chantage, il avait subi dans une citadelle un déplaisant séjour. Le cabanon d’une forteresse, succédant à la paillotte d’un marigot, aurait dû, ce semble, assagir l’effronté chercheur d’aventures ; mais maniaque de l’intrigue, il était né incorrigible... A Vienne, Dossonville s’était donc entendu offrir un séduisant emploi de ses talens. L’ambassadeur