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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/525

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anglais, Minto, diplomate coutumier de savantes roueries, avait chèrement acheté le savoir-faire de ce maître-gonin. Détestant Bonaparte et pratiquant la haine à la façon de Pitt, le noble lord s’était promis d’envelopper Boney dans le réseau d’un subtil espionnage, de pénétrer le mystère du Cabinet des Tuileries, et d’en soutirer les secrets politiques. Aussi, d’affriolantes propositions à Dossonville : « Parlez pour Paris, et là organisez-moi une agence ; machinez une contre-police, achetez les rapports destinés au Consul, prenez-en des copies et envoyez-les-moi. Mandat de confiance et superbe mission ! Je vous ouvre un large crédit... »,

Accepté !... Mais à peine installé dans la rue des Petits-Carreaux, le missionnaire s’était pris à réfléchir : « Pourquoi ne pas dépenser les guinées du milord au seul profit de Bonaparte ? Un double gain, ma foi !... l’argent d’Albion et la faveur du Corse !... » Idée vraiment sublime ! — et le mandataire de confiance était allé se dénoncer soi-même à l’un de ses anciens amis, le consul Cambacérès. Ce gros homme qui, moins voluptueux, aurait pu devenir un grand homme, avait l’esprit délié, le cœur sceptique et la morale accommodante : il comprit et voulut présenter aussitôt Dossonville à Bonaparte...

Conscience à vendre, l’agent de lord Minto n’avait pas déplu. En son cruel mépris de l’âme humaine. Napoléon récompensa souvent les vilenies, quand elles étaient utiles à sa personne, profitables à son ambition. Mais rémunérant un coquin, il le voulait d’une coquinerie parfaite, sans défaillance dans ses pratiques, ni répugnances pour son métier. Il crut avoir trouvé chez le personnage que patronnait Cambacérès l’âme damnée dont il avait besoin. Duper l’insidieux Minto et, en échange de ses pounds, lui fournir force balivernes parut à Bonaparte une amusante combinaison. Et puis, ce Dossonville pouvait lui être utile d’une autre manière...

Depuis quelque temps l’ombrageux Consul avait en suspicion son ministre de la Police. Il se méfiait, — non sans raison d’ailleurs, — de l’homme au teint blême, aux yeux sanglans, aux lèvres menues, au sourire bridé, à la tournure chafouine d’un frère Cordon sans froc, et d’où s’exhalaient d’étranges relens d’astuce, toute une puanteur d’hypocrisie. Il le voulait tenir en surveillance occulte, sous un regard « insoupçonné, » pour employer l’effrayante expression qu’affectionnait Fouché. Faire