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ouvrant les lèvres trop serrées, arrachant les paroles, extorquant les aveux. Et puis, un madré psychologue ; ayant acquis dans le confessionnal l’attristante notion de la bête humaine, de sa sottise comme de ses turpitudes ! Fouilleur de vies privées, il connaissait bien des mystères, et tenait à sa discrétion les plus importans personnages. Un pareil fureteur excellait donc à éventer les complots. Pour plaire à Bonaparte, le préposé aux Affaires secrètes s’ingéniait à en découvrir, et quand il n’avait rien trouvé, inventait, fabriquait. D’ailleurs, des qualités, mais toutes négatives ; de l’honneur aussi, mais à sa manière : fidèle à un gouvernement qui le payait bien, nullement vénal, à peine cupide, aimant, — il est vrai, — les cadeaux, mais plus encore un sourire de son maître : de telles vertus lui suffisaient. Fonctionnaire sans conscience, ou plutôt simple conscience de fonctionnaire, ce haut potentat de bureau ne sut jamais comprendre, de la morale, que la morale de son métier : au demeurant une âme assez basse... Et cependant, en l’abjecte tourbe policière de cette époque, ministre, préfet, inspecteurs généraux, commissaires, agens provocateurs, mouchards de tous les mondes ; au milieu des Fouché, des, Dubois, des Joliclerc, des Méhée, des Perlet et des Montgaillard, Pierre-Marie Desmarest fut par comparaison presque un honnête homme.


La nuit était avancée, et depuis longtemps ce laborieux avait dû cesser tout travail ; mais sa chambre à coucher n’était pas loin de ses bureaux. Ne pouvant s’accorder ni repos, ni loisir, obligé par devoir de mener une vie sans cesse en alerte, il occupait avec sa jeune femme, petite bourgeoise de Neuchâtel, un appartement situé dans le ministère... Soudain, on l’y vint réveiller. Un officier d’ordonnance lui apportait des instructions du Premier Consul : affaire urgente, ordre d’interroger le colonel Fournier, d’obtenir des aveux, puis de le faire écrouer au Temple... Minuit bien sonné, pourtant ! Interroger, à pareille heure ! Mais l’injonction de Bonaparte ne comportait aucun retard ; avec un tel réveille-matin, dormir encore était impossible : Desmarest se leva donc, passa dans son cabinet, et se fit amener le prévenu.

Gardé par les trois inspecteurs, Fournier avait été conduit dans une chambre de dépôt. Une colère d’indignation agitait cette âme en révolte... Pourquoi l’avait-on arrêté ? Depuis dix ans