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qu’il exposait sa vie pour le salut de la République, jamais il n’avait eu à subir un pareil affront ! Arbitraire de tyran ; infamie du Corse !... Et furieux, exaspéré, résolu de ne répondre que des impertinences, il entra dans le cabinet du monsieur de la Police. Mais la violence de son courroux tomba presque aussitôt, tant ce monsieur lui apparut affable. L’aménité d’un philanthrope ; une onction sacerdotale ! Le parler était doux, la voix caressante ; elle déplorait plutôt qu’elle ne menaçait ; même d’amicales plaisanteries égayaient la mansuétude de ce plaintif langage. Bénin, bénin, bénin ! Dès l’abord, l’avisé Desmarest avait conquis le cœur de son hussard.

L’interrogatoire commença, entretien familier, cordiale conversation... « Pourquoi donc le colonel n’avait-il pas rejoint son régiment ? » — « Pourquoi ? Mais pour d’excellentes, de péremptoires raisons ! Le régiment allait rentrer en France : à quoi bon courir le chercher au fond des Abruzzes ? Et puis, une chute douloureuse, une culbute imbécile de cabriolet ! Moulu, meurtri, obligé de garder la chambre !... Voilà ! » — « Une chute de cabriolet ? Quel accident terrible ! Sans doute, après votre dîner de Polangis ?... A propos, parlez-moi donc de ce fameux dîner... »

Fournier alors raconta, bien qu’à sa manière, les divers incidens de la bruyante gogaille... « Eh oui, repas joyeux, trop joyeux ! Des plaisanteries, des quolibets, des badinages ; mais point de machinations, citoyen Desmarest, pas l’ombre d’un semblant de complot ! A vrai dire, le général Delmas avait égayé les convives : propos sans conséquences ! Un amuseur, un boute-en-train, le général, la fanfare de tous les festins ! Avait-il, en prenant le moka, prononcé de fâcheuses paroles ? Peut-être oui, peut-être non. En tout cas, Fournier n’avait rien entendu : il causait de tactique avec un camarade... »

Desmarest n’insista pas, et abordant d’autres sujets : « Un soldat aussi bien noté que le brillant hussard devait connaître à Paris plusieurs généraux ? « ...Oui, le brillant hussard les connaissait tous : Masséna, Augereau, Bernadotte, Mortier, Lefebvre, Oudinot, Davout. — « Vous leur avez évidemment rendu visite ? » — « Peuh ! des visites de politesse : j’ai souvent trouvé porte close. » — « Pas chez Delmas, sans doute. Vous fréquentez ce général ? »... Non : Fournier n’avait causé avec lui que chez Oudinot. — « Je sais : avant le dîner dans la cour du château ;