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du bout des doigts. Et si ce n’était pas précisément la poésie que j’avais espérée en cet endroit, c’en fut une autre, plus familière, plus savoureuse, et peut-être aussi plus vivante, — jusqu’au moment où je repris le chemin de la moderne et très prosaïque Corinthe...


V. — AU PAYS DE SCHLIEMANN

Entre Corinthe et Tripoli, la seule station qui m’ait procuré un peu de plaisir, c’est Némée, la ville d’Hercule et des jeux athlétiques : un verre d’eau glacée que m’apporta le conducteur du train ranima mes énergies rendues fort languissantes par un temps orageux et lourd. Je pus admirer plus à l’aise cette région montagneuse et boisée, et m’émouvoir suffisamment au souvenir des Néméennes, pour regretter de ne la point parcourir à petites journées.

Puis, au sortir des défilés, ce fut l’Argolide, — Mycènes, Argos, Tyrinthe, — pays de grand style et de grand caractère ! Le soleil l’avait recuit et brûlé à point, pour qu’il me donnât tout de suite l’impression d’un coin de Tell algérien. Les plaines moissonnées, les montagnes fauves avaient des colorations vraiment africaines : rien que du blanc et du rouge, le rouge-brun des vases peints et des fresques antiques. Ces teintes uniformes finissaient par atténuer le tohu-bohu de civilisations et d’architectures qui se pressent et s’entre-choquent sur ce sol trop vieux, trop travaillé par les hommes.

Tout prenait une même physionomie, l’acropole cyclopéenne de Mycènes et le castel moyen-âgeux d’Argos !... Etait-ce la fatigue, ou la chaleur, ou la satiété d’un spectacle peu varié, mais je ne pouvais me défendre contre un invincible sentiment de lassitude et d’ennui. Je le confesse : Atrée et Thyeste, Agamemnon et Cassandre, les sépultures royales, toutes ces ruines documentaires me laissèrent absolument indifférent. Je me sentais égaré en plein domaine archéologique, dans un canton qu’emplit maintenant la seule gloire d’un épicier mecklembourgeois. L’Argolide est devenue le pays de Schliemann, qui l’a fouillé avec un sombre acharnement. Et je me disais : « Ce fatras de pierres ne me parle pas davantage qu’un amas de matières géologiques. Ce sont des coquilles. L’animal qui vivait dessous a disparu. Or, il n’y a que l’animal qui m’intéresse. Les rares