Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/636

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les lignes, la tonalité des plans, le profil et la couleur des marbres, les nuances même de l’atmosphère, il a tout fixé d’un coup, avec une justesse parfaite.

Mais si éloquemment qu’il ait parlé d’Athènes, c’était à Sparte, au fond, qu’allait tout son amour. D’abord, il a dû l’aimer comme sa découverte, puisque avant lui les archéologues et les géographes étaient encore incertains sur l’emplacement de ses ruines. Il y avait longtemps, d’ailleurs, qu’elle l’obsédait. Les déclamations de Jean-Jacques et des révolutionnaires sur les vertus de Lacédémone étaient encore dans sa mémoire. Enfin l’homme du Nord qu’était Chateaubriand, l’enfant rêveur, élevé au château de Combourg, trouvait peut-être dans la plaine, alors désolée, de la Laconie, devant la chaîne grandiose et romantique du Taygète, un spectacle plus en harmonie avec sa sensibilité et ses instincts d’artiste, que sur les hauteurs de l’Acropole, devant l’Attique lumineuse, riante et sèche.

En tout cas, c’est du jour où il est passé à Sparte, que la Grèce antique a commencé à vivre sous des couleurs plus vraies dans son imagination et dans celle des hommes d’Occident. D’habitude, on lui refuse cette vérité de la vision, parce qu’il a la magnificence du style. On conteste l’exactitude de ses descriptions, on le chicane sur le détail, alors qu’on se montre beaucoup moins exigeant avec d’autres qui ne sont pas plus exacts mais qui flattent notre manie d’impressionnisme, notre préférence pour le fugitif et l’instantané. Ceux-là ne s’évadent guère hors du monde flottant de la sensation. Chateaubriand, lui, est un descriptif de l’ordre intellectuel. Son œil, en même temps qu’il voit, élimine et compose, ne retient des objets sensibles que la matière d’une idée, et, si son être vibre tout entier au contact des choses, cet émoi lyrique s’achève toujours en contemplation. Son objet propre, c’est ce qui ne passe point, le résidu de la sensation qui demeure toujours vrai pour la pensée, — la face éternelle des paysages.

Le contemplateur n’a pas étouffé, en lui, l’homme d’action. Dans la torpeur orientale, il est resté un Celte à l’esprit agile, le descendant d’une race à la fois positive et aventureuse… Lorsque, du haut de l’Acropole de Sparte, il a regardé autour de lui, les champs incultes étaient à peu près déserts, les habitans, décimés par le Turc, se cachaient ou osaient à peine se montrer. Le souffle stérilisant de l’Islam avait tout dévasté… Quel scandale