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Tombeau de Lêonidas, je traversai l’Agora, j’escaladai même l’Acropole. Ces beaux noms antiques ne désignent plus aujourd’hui que des olivaies et une butte surmontée d’une cabane de berger. Sur le flanc de la butte, on a dégagé les gradins d’un théâtre. Ailleurs, on a retrouvé des fondations de temples. Des fragmens de sculptures et de bas-reliefs gisent dans des tranchées. Tout cela peut occuper utilement des archéologues. Je n’y recueillis, quant à moi, nulle jouissance, — pas même une satisfaction de curiosité.

La chaleur était atroce, au milieu de ces champs moissonnés et sans ombre. Je sentais l’insolation imminente. Au plus vite, je gagnai le Platanistas, où quelques noyers, groupés autour d’une fontaine, me promettaient une relative fraîcheur. D’un côté, la Magoula, — un modeste ruisseau, affluent de l’Eurotas, — y entretient une végétation assez touffue, et, un peu partout, il y a des filets d’eau courante, des lavoirs et des abreuvoirs.

Je m’assis au bord de la fontaine, sur la racine d’un noyer. A deux pas, des paysans faisaient boire leurs bœufs. Dans mon accablement que je combattais pourtant de toutes mes forces, j’essayais d’employer ma pensée divagante... A défaut d’une antiquité, presque tout entière périe, — et toujours si obscure ! — quel meilleur sujet de méditation pour un Français, égaré dans la campagne de Sparte, que les pages fameuses que Chateaubriand lui consacra ?...

il écrit, dans son Itinéraire : « C’est le 18 août 1806, à neuf heures du matin, que je fis, seul, le long de l’Eurotas, cette promenade qui ne s’effacera jamais de ma mémoire. » Or, il y avait juste cent ans que l’auteur des Martyrs était ici. C’était le samedi 18 août 1906 que je relisais ses notes de voyageur, sous un noyer du Platanistas, — c’était à peu près l’heure où il se promenait au bord de l’Eurotas, et j’étais seul, moi aussi, au milieu des paysans et des bœufs pressés autour d’un abreuvoir, à commémorer ce glorieux centenaire.

Chateaubriand s’est arrêté à cet endroit : il y a ressenti la plus forte émotion de tout son voyage. Un événement comme celui-là n’intéresse pas seulement les biographes et les admirateurs du grand homme, mais il a eu des conséquences historiques, qu’il serait injuste d’oublier.

Sans doute, Athènes lui inspira de fort beaux accens. Personne n’a vu comme lui le paysage de l’Attique et du Parthénon,