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lentement la dernière gorgée, — et j’enviais les trois nonnes qui vivent ici, entre leurs pots de fuchsias et leur petite maison blanche !… Quel rêve ! Faire son salut devant ce spectacle de chaque jour, — et puis mourir, en rendant grâce à Dieu d’avoir créé le monde si beau !…

Durant mon séjour à Mistra, j’eus l’honneur d’être logé dans les bâtimens de la Métropole, ancienne résidence des archevêques de Sparte. C’est un îlot de constructions, à mi-côte de la ville. Elle comprend la cathédrale de Saint-Démétrios, avec ses dépendances, un cloître et un palais archiépiscopal.

On entre d’abord dans une cour, environnée de hauts murs, qui précède la basilique. À gauche, près du portail, il y a un puits monumental surmonté de la croix grecque et de l’aigle impériale à deux têtes. Un figuier étale ses branches noueuses et ses larges feuilles vertes sur la blancheur des murailles : cela fait un coin d’ombre voluptueux, pendant la saison chaude. On s’imaginerait presque être dans la cour d’un très vieux mas de Provence, n’étaient ce porche d’église, ce puits seigneurial et cet emblème héraldique. Les pierres se délitent, le profil des sculptures s’efface, des cailloux et des herbes ont envahi le sol. On se sent dans une antiquité pas très lointaine, mais déjà si décrépite ! — dans une civilisation caduque qui retourne à la rusticité, pour ne pas dire à la barbarie, — et qui retient pourtant un reste d’élégance et de grandeur…

La cathédrale ressemble à toutes les églises de Mistra, sauf qu’elle est plus grande et vraiment métropolitaine : même architecture, mêmes fresques drapant les piliers et les nefs comme de hautes tapisseries à personnages. Les bâtimens annexes renferment un embryon de musée, dû à l’initiative de l’archéologue Gabriel Millet, qui est le plus fervent et le plus averti de tous les amoureux de Mistra. En face, c’étaient les anciens appartemens de l’archevêque, des pièces blanchies à la chaux, aérées et spacieuses, d’une simplicité tout méridionale. J’y reconnus le sélamik, où Chateaubriand fut reçu en 1806. La disposition n’a pas changé. Les divans sont encore en place le long des murs, avec leurs nattes circulaires clouées contre la plinthe, où l’on appuie sa tête. Mais la salle est dans un état de délabrement pitoyable. Des tribus de souris y ont élu domicile,