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et le plancher pourri cède sous le pied, quand on s’avance vers les fenêtres sans vitres, pour contempler, entre leurs baies étroites, la vallée vertigineuse...

Masures blasonnées et croulantes, vieilles chapelles ensevelies sous la chaux et la poussière, tout cela est bien mort !... La grâce vivante de la Métropole, c’est le cloître autour duquel s’ordonnent toutes ces constructions, le cloître avec ses galeries peintes à fresque comme la basilique, ses figures évanescentes d’apôtres et de martyrs, ses arceaux soutenus par de frêles colonnettes. Il est tout au bord d’une terrasse, — et, du côté du Levant, ses arcades s’ouvrent sur le ciel libre, sur les profondeurs du ravin et les étendues radieuses de la plaine laconienne.

J’ai passé là des heures bénies, assis sur le petit mur qui surplombe les cours et les jardins de la ville basse, — des heures si douces que je formais le projet insensé de m’y arrêter pour toujours. Je ne pensais à rien, ni à Sparte, ni à ses héros emphatiques, ni à ses mythologies amoureuses. Je me laissais aller à la béatitude du rêve oriental, à la somnolence des siestes, où la réalité imprécise finit par s’abolir. Et quand j’essayais de secouer cette langueur, rien n’arrivait jusqu’à ma conscience que l’enchantement des belles lignes, les formes des montagnes, l’envergure de la plaine, tout ce concert silencieux de l’espace... J’y goûtais l’ivresse de l’altitude et du plein ciel, la joie physique de boire un air si pur, parmi les odeurs des giroflées et des lavandes brûlées de soleil, — et cette sensualité frugale de se satisfaire avec des nourritures légères et rafraîchissantes, des pastèques, des figues, de l’eau glacée tirée du puits...

Oui, ce cloître et cette solitude de Mistra ne m’effraient point. J’y vivrais des saisons à regarder les couleurs changeantes du ciel et de la terre, à épier les nuances du vent, les torpeurs lourdes et les colères soudaines de l’été, les gros nuages noirs qui annoncent le siroco, et puis, tout aussitôt, l’immense sourire de l’éther pacifié...

Encore plus haut, à la pointe Nord de Mistra, — protégé par la citadelle du Castro, — se dresse le Palais des Despotes...

Ainsi nommait-on les gouverneurs byzantins de la Morée, personnages investis d’une autorité presque absolue, et qui,