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et en dissocie toutes les parties, le médecin sera tout aussi impuissant à guérir ce paralytique qu’à faire circuler le sang dans la tête tranchée d’un criminel.

Donc, ni aujourd’hui, ni plus tard, la médecine ne pourra guérir toutes les maladies. Mais de là à regarder la médecine comme inutile, il y a loin.

D’abord, il ne s’agit pas seulement de guérir : il y a bien autre chose encore. Le rôle du médecin a été admirablement déterminé par cette belle définition : Il guérit quelquefois ; il soulage souvent ; il console toujours. Même s’il ne doit pas guérir le malheureux atteint d’un cancer de l’estomac, il peut le soulager, lui rendre les digestions moins douloureuses, lui donner des nuits moins cruelles, lui indiquer des alimens supportables. L’infortuné ne sera pas guéri, et la maladie continuera son évolution fatale ; mais le médecin a fait beaucoup s’il a rendu les derniers jours de cette lente agonie moins atroces.

Et puis, quelle immense consolation le malade ne trouve-t-il pas dans les paroles de réconfort que le médecin, soucieux de son véritable devoir, lui adresse ? L’arrivée du médecin est attendue avec impatience : c’est, pour tout malade, qu’il soit moribond ou seulement alité, le grand événement de la journée : car, en dépit du scepticisme qu’on affectait, on croit toujours, quand on est malade, que le médecin peut beaucoup, et même qu’il peut tout, La famille du malade, dans son angoisse, attend avec émotion la parole de désespérance ou d’encouragement qui va, comme un oracle fatidique, tomber des lèvres du médecin. En vérité, il serait inhumain de laisser mourir un malade sans cette consolation dernière.

Il est assez sot de prétendre que la médecine ne peut soulager. Le contraire est vrai. Si elle est souvent sans ressources pour combattre la mort, elle est toute-puissante, ou à peu près, pour combattre la douleur. La douleur dans les opérations chirurgicales n’existe plus ; et l’anesthésie chirurgicale est un bienfait admirable donné à l’humanité. Mais, même sans anesthésie, quels adoucissemens n’apportent pas les hypnotiques, les narcotiques, les analgésiques ? La liste est très longue des médicamens qui peuvent vaincre la douleur. On peut presque dire, avec bien peu d’exagération, que, si l’on souffre, c’est qu’on consent à souffrir. Le chloral, l’antipyrine, le chloralose, le véronal, l’héroïne, le sulfonal, peuvent être toujours administrés.