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dans l’hygiène publique ont été précisées par les chimistes physiologistes. Croit-on vraiment qu’un médecin doive se contenter des principes qu’un caporal professe sur l’ordinaire de ses soldats, ou des notions qu’une bonne d’enfant possède sur la soupe de son bébé ? J’estime plus haut le rôle du médecin. Il doit savoir qu’il y a des alimens azotés, d’autres non azotés ; il doit à peu près savoir la quantité d’azote, d’hydrogène, de carbone que contiennent les principaux alimens. Certes, c’est de la chimie, tout cela. Mais, sans cette chimie élémentaire, il est interdit de comprendre quoi que ce soit aux phénomènes de la nutrition.

Un médecin digne de ce nom a-t-il le droit d’ignorer qu’il y a du sucre dans le lait, et combien il y a de sucre ? Qu’il sache, par surcroît, la constitution chimique du sucre de lait, ce n’est pas indispensable ; mais il serait bien ridicule d’accuser un professeur de chimie physiologique de dire des choses inutiles, si, à la fin de sa leçon, il indique par une formule la nature chimique du sucre de lait.

A vouloir séparer la médecine de la science, on ravale la médecine à un rang inférieur. Au moyen âge, les barbiers étaient chirurgiens. On voudrait nous ramener là ! Ainsi, depuis un siècle, les médecins auraient fait un immense effort pour donner à la pratique médicale des bases solides : ils auraient multiplié les moyens scientifiques d’investigation, et, à la Faculté de médecine de Paris, il faudrait négliger cette œuvre colossale, jeter par-dessus bord ce bagage soi-disant encombrant, pour s’abandonner à un grossier empirisme, goûter l’urine des diabétiques, comme en 1825, pour savoir si elle est sucrée, au lieu de faire les réactions chimiques qui décèlent la présence du sucre !

Mon père, qui fut un grand clinicien, accueillait assez mal le confrère qui lui déclarait : « Je ne suis pas un savant, je suis un praticien ! » et il me disait alors : « Je sais ce qu’il entend par là : il veut dire qu’il est un ignorant ! » En fait, le soin que prennent certains docteurs de déclarer qu’ils ne connaissent que la pratique est un masque pour couvrir leur ignorance. Ceux qui dédaignent la science sont incapables d’être de bons praticiens.

D’ailleurs, on néglige ce fait essentiel, très évident, que, pour avoir conservé à cinquante ans quelques connaissances scientifiques, il faut en avoir acquis beaucoup à vingt ans. On ne retient pas la centième partie de ce qu’on a appris. Telle est la