Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/707

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en témoigne ; que de récits et traditions prouvent qu’il y a des armes défensives plus fortes que des canons, des bons principes qui protègent plus qu’un château crénelé ! Dans cette atmosphère familiale, l’enfant devenait discipliné, loyal, se soumettait au devoir sans effort. On la retrouve encore parfois à l’intérieur du pays et surtout parmi les populations agricoles ; mais dans les villes, les grands centres industriels, ces vieilles traditions sont complètement détruites. Le contraste est triste entre le contentement paisible des habitans des villages de ce ravissant pays et l’esprit turbulent des ouvriers manufacturiers d’Osaka, de Yokohama, de Tokyo, où la course enfiévrée vers la richesse a tué les sentimens les plus nobles et les plus doux.

Dans le temps jadis, l’influence familiale était très forte, et les enfans étaient unis aux parens plus par les liens d’une affection qui durait toute la vie que par la sévérité. Dès sa naissance, nous l’avons déjà dit, l’enfant partageait l’existence de sa mère qui le portait sur son dos aux champs ou elle travaillait tout le jour, au marché, et en quelque endroit qu’elle fût occupée.

J’ai pensé, autrefois, qu’un enfant devait souffrir d’être ainsi jeté tout petit sur les grands chemins de la vie ; mais aujourd’hui, ayant appris à connaître les mœurs du pays, j’ai changé d’avis. Pour ceux qui ne peuvent pas avoir le luxe d’une bonne, il vaut infiniment mieux permettre à l’enfant d’accompagner ses parens partout et ne pas l’abandonner à ses propres ressources, et le plus souvent dans la rue. Même là où il y a des crèches et des écoles maternelles, il n’est pas possible à une seule personne ayant cinquante et cent enfans à surveiller, de remplacer les soins d’une mère : tant que les parens se dévouent à leurs bébés, tant qu’une femme aura pour premier devoir et pour premier bonheur d’élever sa famille dans de bons principes, rien ne saura la remplacer.

Parfois je me suis anxieusement demandé si trop d’affection ne gâtait pas l’enfant. On m’a toujours répondu que les fils élevés par une tendre mère avaient les caractères les mieux trempés plus tard. Le Japon est bien véritablement l’eldorado des petits. En aucun autre pays, ou ne voit des bébés aussi bien nourris ou soignés et dont le moindre désir est aussi rapidement exaucé. C’est comme si l’unique souci des parens était de laisser à leur heureuse descendance une impression agréable de leur enfance, capable d’adoucir pour eux les peines et les ennuis