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la duchesse de Kent, restée veuve de bonne heure, vivait petitement, presque sans fortune, jusqu’au jour où le gouvernement anglais, ému de cette situation, demanda au Parlement d’augmenter l’annuité qui devait servir à l’éducation de la jeune princesse. Education sévère, où, même après l’augmentation des revenus, la mère élève la fille dans des habitudes de simplicité, d’abnégation et d’obéissance. La reine Victoria elle-même, en racontant quelques souvenirs de son enfance, reconnaît qu’elle fut plutôt mélancolique. Un seul point lumineux au milieu d’une existence monotone : les séjours à Claremont chez l’oncle Léopold, le futur roi des Belges. Là, l’enfant s’épanouit en toute liberté ; elle conservera toute sa vie la mémoire des bontés dont elle a été alors comblée, des attentions délicates et tendres dont elle a été l’objet. L’oncle remplacera pour elle le père qu’elle n’a jamais connu ; elle l’aimera d’une affection toute filiale. Un sentiment domine cette éducation profondément chrétienne, presque puritaine : le sentiment du devoir, même dans ce que le devoir a de plus pénible. On sait combien il en coûte aux enfans de reconnaître leurs torts. C’est la première obligation qu’on impose à la princesse. Sa mère et son institutrice l’habituent à demander pardon des fautes qu’elle a pu commettre. L’habitude lui en restera. Même sur le trône, s’il lui échappe quelques vivacités de langage, elle s’en excusera auprès de ses inférieurs. A-t-elle offensé quelqu’un, fût-ce le plus modeste de ses serviteurs, elle ne retrouvera sa tranquillité d’esprit qu’après lui avoir adressé des excuses. Manière tout à fait noble et toute personnelle de comprendre les devoirs des supérieurs envers ceux qui sont au-dessous d’eux.

Voilà la jeune fille armée pour la vie de principes solides et de vertus chrétiennes. Cela n’assombrira pas son humeur naturellement gaie, cela ne l’empêchera pas d’aimer les plaisirs de son âge, la vie en plein air, l’équitation, la musique, la danse. Ainsi se développeront, sous une discipline généralement ferme, avec quelques échappées, les qualités foncières de sa nature. Mais à l’âge de dix-huit ans, cette jeune tête va porter le poids de la couronne d’Angleterre. Qui la préparera à ce rôle difficile ? De qui recevra-t-elle les indications et les conseils dont son inexpérience a besoin ? Alors apparaît dans sa vie la bienfaisante influence de l’oncle adoré. Le roi des Belges qui ne passe pas pour tendre, dont la politique positive paraît étrangère à toute