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sentimentalité, trouve des accens paternels pour prémunir sa nièce contre les dangers dont elle est menacée. On tirerait, des lettres longues et nombreuses qu’il lui adresse, tout un code de morale pratique à l’usage des souverains. Il ne se dissimule pas que, depuis 1789, la situation des princes et des grands de ce monde est changée en Europe. On ne se contente plus d’une soumission lointaine. On les observe de près, et on les juge. Leur premier soin doit être de se défendre de la vanité qu’encouragera chez eux la bassesse des courtisans, de l’égoïsme qui risque de les faire détester. Les caractères bien trempés résisteront seuls à toutes les épreuves qui les attendent. S’ils obtiennent des succès, gare à l’infatuation ! S’ils ne réussissent pas, gare au découragement ! le mieux est de se fortifier d’avance contre toutes les éventualités. L’examen de conscience, le goût de la réflexion, le sérieux de l’esprit seront d’un grand secours. Le politique couronné recommande surtout à sa nièce le discernement. Qu’elle tâche de ne pas se tromper sur la valeur des choses ! Si peu sont importantes ! Le danger serait d’attacher de l’importance à celles qui n’en ont pas, de se laisser absorber par des frivolités et par des bagatelles.

Ces sages conseils rentrent au fond dans le cadre de l’éducation qu’avait reçue la princesse. Au début de leur correspondance, son oncle ne lui apprendra presque rien qu’elle ne sache déjà. Il lui sera bien autrement utile, lorsqu’il sortira des généralités pour aborder les questions de conduite et de tenue politiques. Là il est passé maître en expérience et en raison. Pendant les semaines qui précèdent la mort de Guillaume IV, lorsqu’on attend d’un jour à l’autre le dénouement fatal, et que la princesse touche au trône sans y être encore assise, le roi Léopold lui recommande la fermeté tempérée par la prudence. Pas d’abandon avec l’entourage royal dont on n’est pas sûr, où se trouvent certainement des personnes malveillantes ; de la bonne grâce avec le Roi, mais sans rien accorder de ce qui aliénerait la liberté de la future souveraine. Surtout qu’elle se garde bien de laisser composer par d’autres que par elle sa maison personnelle. Elle ne doit accepter dans son intimité que des amis. Son oncle lui nommera tout de suite ceux en qui elle peut avoir confiance : en première ligne, le baron Stockmar, médecin et secrétaire particulier du roi des Belges. La Reine aura pendant des années en Stockmar, un conseiller discret, qui se montre le moins possible,