semble la perfection, écrit-elle au roi des Belges... Je l’aime plus que je ne saurais dire... je suis très, très heureuse. »
Au milieu des conventions de la Cour, dans un monde où tant de gens ont peur de laisser entrevoir une personnalité différente des autres, où, pour ne pas attirer l’attention, les sentimens intimes se dissimulent souvent sons des formules banales, quel charme de rencontrer, par exception, une nature si parfaitement sincère, si jeune et si vibrante ! L’idylle amoureuse de la reine Victoria nous apparaît comme une source rafraîchissante dans une contrée aride. Elle raconte si gentiment ce qu’elle éprouve ! Sans doute ses idées se sont modifiées. Elle ne désirait se marier que quelques années plus tard ; mais comme elle le dit avec une ingénuité délicieuse, « la vue d’Albert a changé tout cela. » Aveu plein de franchise qui révèle toute la joie et toute la puissance de l’amour naissant ! Comme une amoureuse ordinaire, elle porte partout avec elle le portrait de son fiancé. Bien loin de la diminuer, ces traits de ressemblance avec ce qu’il y a de plus général et de meilleur dans la nature humaine nous rendent la princesse plus chère en la rapprochant de nous. Elle nous plaît aussi infiniment lorsqu’elle se plaint d’être séparée de son fiancé par des raisons de convenance et qu’elle attend de ses nouvelles avec une impatience fébrile. Sa vue très nette et très pratique des choses ne l’abandonne pas pour cela. Elle se rend parfaitement compte des difficultés que va rencontrer le prince Albert dans la situation qui lui est faite. Il ne jouira d’aucun des attributs de la souveraineté, il ne sera pas le Roi, il ne sera que le mari de la Reine. De plus, sa qualité d’étranger va le rendre nécessairement suspect. On ne saurait prendre trop de précautions pour ne pas éveiller à son sujet les susceptibilités de la nation anglaise. Aussi, malgré l’avis du roi des Belges, refuse-t-elle résolument d’élever le prince à la dignité de pair d’Angleterre. S’il entrait dans la Chambre des lords, on l’accuserait tout de suite de vouloir jouer un rôle politique, et dans l’opinion de la Reine, c’est l’accusation qui lui ferait le plus de tort. Par la même raison, elle entend que la maison personnelle de son mari ne se compose que d’Anglais. Il aura le droit de nomination officiel, mais c’est elle qui dictera ses choix, et elle ne choisira que des membres de la noblesse d’Angleterre. Elle concilie de cette manière ce qu’elle doit à son pays et ce qu’elle doit à l’élu de son cœur.