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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/731

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II

Le bonheur conjugal qu’éprouve la Reine et dont elle parle avec effusion chaque fois que l’occasion s’en présente, puis la naissance de son premier enfant lui rendirent supportables les difficultés politiques qu’elle rencontra dès le lendemain de son mariage. En 1840, la question d’Egypte faillit amener un conflit entre la France et les puissances européennes. Nulle part la crise ne parut plus aiguë qu’en Angleterre. Là elle se compliquait de l’antagonisme de deux hommes d’un caractère bouillant : M. Thiers et lord Palmerston. S’ils avaient été tous deux livrés à eux-mêmes, les choses auraient pu s’envenimer jusqu’à la guerre. Heureusement, les souverains des deux pays se rencontrèrent dans un désir commun de pacification. La reine Victoria ne se laissa pas plus entraîner par lord Palmerston que Louis-Philippe par M. Thiers. Tous deux montrèrent alors que si, en vertu du régime constitutionnel, le souverain règne et ne gouverne pas, il lui est néanmoins possible d’exercer par ses conseils une influence décisive. La correspondance de la Reine nous apporte à cet égard deux témoignages bien significatifs : une lettre du roi des Français adressée au roi des Belges qui la transmit à sa nièce pour qu’elle fût communiquée au ministère anglais, et une note écrite de la main de la Reine en réponse à une lettre de lord Palmerston. Louis-Philippe affirme son désir de maintenir la paix en Europe, mais demande en même temps qu’on ne lui rende pas sa tâche impossible en humiliant la France, en laissant croire par des procédés blessans qu’on veut la réduire au rang de puissance secondaire. De son côté, la Reine, en écrivant à son ministre des Affaires étrangères, prend la peine de réfuter les argumens qu’il emploie contre la France et s’efforce de le ramener à des sentimens plus impartiaux. Elle ne lui cache pas qu’elle attache une extrême importance au rétablissement des bons rapports entre les deux pays. Ni l’honneur, ni la dignité de l’Angleterre ne sont intéressés dans la question. Qui se douterait que la personne qui pense si sagement et si fortement n’est qu’une jeune femme de vingt et un ans ! Il ne nous déplaît pas d’apprendre par là que le premier usage qu’a fait la reine Victoria de son autorité dans les questions de politique extérieure a été fait en faveur de la France.