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contribué à délivrer l’Espagne de la domination française, n’admettait pas que la France essayât d’y reprendre une influence prépondérante. Elle aurait été disposée à favoriser le mariage de la jeune reine Isabelle avec un prince de la maison de Cobourg qui lui offrait toute sécurité. Elle s’en abstint cependant pour ne pas donner d’ombrage au gouvernement français. Il semblait alors entendu entre les deux pays que, si un des fils du roi Louis-Philippe prétendait à la main de l’Infante, sœur de la Reine, ce ne pourrait être qu’après que la Reine elle-même se serait mariée et aurait eu des enfans. — Victoria parle d’un engagement verbal qui aurait été pris à Eu sur ce point par le roi des Français. Aussi, lorsqu’on apprit en Angleterre que le mariage de la reine d’Espagne avec don François d’Assise et celui de l’Infante avec le Duc de Montpensier avaient été déclarés simultanément, on cria à la trahison. Par ces mariages simultanés, Louis-Philippe préparait évidemment la possibilité de l’avènement de son fils au trône d’Espagne. La reine d’Angleterre en témoigna le plus vif mécontentement ; elle écrivit au roi des Belges dans les termes les plus véhémens. « On a commis une infamie, dit-elle en propres termes. Il faut que le Roi sache que nous sommes extrêmement indignés, et que ce n’est pas en agissant ainsi qu’il maintiendra l’entente qu’il désire. » On n’en veut pas au pauvre Montpensier, qui a parfaitement réussi dans un récent voyage à Londres, mais on accuse son père de duplicité. La reine Marie-Amélie, dans une lettre très caressante adressée à sa bonne sœur d’Angleterre, essaie bien de transformer le mariage en un simple événement de famille. Mais la bonne sœur d’Angleterre n’entend point de cette oreille. Les effusions sentimentales ne sont plus de saison ; d’un ton sec, elle remet les choses au point en exprimant sans aucun ménagement sa surprise et son regret. Retrouvera-t-elle jamais la confiance qu’elle avait autrefois dans l’amitié du roi Louis-Philippe ? La perspective d’un tel malentendu avec le gouvernement français l’attriste et l’inquiète pour l’avenir. Elle sent bien que la faute n’est pas tout entière à la France et que les procédés de lord Palmerston y sont pour quelque chose. Elle n’en souffre pas moins d’avoir compté à tort sur la parole du roi des Français. « Aucune querelle, écrit-elle, ne pouvait m’être plus désagréable et plus cruellement pénible, car ce conflit a un caractère très personnel et bouleverse toutes nos communications et correspondances. »