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tout cela n’avait pas eu de conséquences très graves pour Madame tant qu’elle en avait haussé les épaules. Dans l’état d’énervement où l’avaient mise des chagrins plus importans, les coups d’épingle de « la cabale » lui devinrent intolérables, et ce fut-sa perte ; le chevalier de Lorraine se hâta de profiter de ce qu’elle avait perdu tout sang-froid, tout empire sur elle-même, pour achever de brouiller les cartes. Il s’était contenté jusque-là de prélever des pots-de-vin sur les fournisseurs, de faire chasser par Monsieur les domestiques qui plaisaient à Madame, et autres méfaits du même ordre, puant étrangement l’office pour un homme de sa qualité. Il alla tout d’un coup plus loin. Devinant l’heure propice aux fâcheries et aux disputes, il s’entendit avec ses acolytes pour répandre le bruit que Madame avait une « galanterie » avec un officier des gardes du corps nommé Saint-Saens.

Cette sottise vint aux oreilles du Roi, lequel, connaissant sa belle-sœur, jugea prudent de la mettre au courant pour lui recommander la sagesse. Il l’engagea fortement à ne pas faire le jeu de ses ennemis en s’occupant de leur « méchant complot[1], » et ne put se faire écouter. Madame tout échauffée voulait qu’il « prît sa cause en main, » qu’il avertît Monsieur, en un mot qu’il fit du bruit. « Plus je réfléchis, répondait le Roi, moins je vois qu’il soit nécessaire que j’en parle, car mon frère vous connaît bien, et tout le monde voit assez, depuis dix ans, qu’il n’y a pas moins coquet que vous. Vos ennemis peuvent dire tout ce qu’ils voudront, cela ne peut pas faire grand effet. » C’était le bon sens même. Madame demeura cependant très mélancolique : « On a attaqué mon honneur et ma réputation, » disait-elle, et il était impossible de l’apaiser.

Monsieur remarqua sa tristesse et insista pour en savoir la cause : « Je finis par tout lui dire… Il fit l’étonné, et dit… que si je n’avais pas d’autre raison de me tourmenter, je pouvais être bien tranquille, car il me croyait incapable d’être coquette, et il savait bien ce qu’il répondrait si quelqu’un… avait l’impudence de lui donner un pareil avis. » C’était parler comme il faut ; mais il était au-dessus des forces de Monsieur de garder un secret, et sa femme n’aurait pas dû l’oublier. Ses favoris surent par lui que Madame s’était plainte d’eux, et furent dans une grande colère. Madame s’emporta, la tête montée par les rapports

  1. Lettres du 12 et du 19 septembre 1682, à la duchesse Sophie.